Ancêtres d'Augusta Gibelin, épouse Serre
Notre grand mère Augusta
Augusta Victoria Joséphine Gibelin est née à Carnoules le 16 juillet 1875. Son père Justin Rolin Gibelin et sa mère Sabine Madeleine Olinde Raynaud s'étaient mariés 10 mois auparavant, mais un drame survint alors qu'elle avait à peine 6 mois, son père ouvrier aux chemins de fer était tué en gare de dépôt de locomotives de Carnoules.
Sa mère se remaria deux ans plus tard avec Charles Frédéric le jeune frère de son époux décédé, qui était boulanger, ils vinrent plus tard habiter La Garde où Augusta épousa en 1896 Laurent Serre ouvrier serrurier à l'Arsenal de Toulon.
Ce fut la dernière représentante des Gibelin du Cannet des Maures
Augusta eut comme l'autre grand mère Joséphine une vie discrète, lot des épouses et mères de leur époque accentué par des conditions de vie modestes. Si ele eut tardivement (en 1918) un fils qui mourut à 3 ans, c'est sa fille Olinde née dès 1897 qui va assurer une importante descendance à Lyon sous le nom de Bouvant.
Le présent site s'attache à présenter d'une part des familles alliées à la lignée Gibelin, d'autre part aux ancêtres de Sabine Raynaud. Tous vécurent au coeur du département du Var, un seul apport extérieur, celui du grand père de Sabine Italien venu de Milan.
Les communes où vécurent les ancêtres d'Augusta

Les trois branches ancestrales sont bien localisées. Les Robert (devenus Bouvant avec Jules) vivent à l'extrémité nord et en Basses Alpes. Les Serre (devenus Bouvant avec Eugène) viennent du Haut Var, naviguent de l'est à l'ouest pour se fixer près de Toulon. Les Gibelin (devenus Serre avec Laurent) partent aussi du Haut Var, séjournent longuement en Centre Var pour venir rejoindre les Serre près de Toulon.
Les premiers aïeux d'Augusta
les éléments biographiques mis à jour sont visibles en cliquant sur l'étiquette de l'ancêtre
Les seize trisaïeux sont bien là, seuls les identités des deux Milanais n'ont pas été retrouvés à ce jour. Compte tenu du contenu des registres disponibles, les différentes branches des générations antérieures vont être représentées dans les tableaux suivants à partir des 6 ancêtres de couleur différenciée.
Les ancêtres d'Augusta : les Gibelin avant le Cannet, avec 14 familles alliées
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Les ancêtres d'Augusta : les Camail avec 8 familles alliées
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Les ancêtres d'Augusta : les Rimbaud avec 16 familles alliées
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Les ancêtres d'Augusta : les Tambon avec 18 familles alliées
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Les ancêtres d'Augusta : les Raynaud avec 20 familles alliées
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Une Saga de Gibelin
- Qu'es aco?
Le nom de Gibelin m’était connu dès ma prime enfance, car il était
fréquemment cité par ma mère lorsqu’elle évoquait ses aïeux maternels.
Ce qui accrédita pour moi, lorsque je pris connaissance des querelles
florentines entre les Guelfes et les Gibelins que Dante a immortalisées,
l’idée que notre famille provençale devait avoir de fortes origines
italiennes.
D’autant plus que mon parrain était un cousin Gibelin portant un
nom très italien. Mais ceci n’avait rien à voir avec cela. J’ai
découvert récemment d’où provenait son nom Charles Giovo. Il était capitaine
au long cours, expression qui entre parenthèses
faisait rêver le gamin que j'étais alors. En effet il
sillonnait les mers asiatiques à bord d’un croiseur et m’envoyait des
cartes postales ornées de noms exotiques tel que Mikado, Cochinchine ou
baie d’Along.
On n'est pas tous des
Ritals
Charles était d'origine italienne directe, puisque son père avait émigré dans
la région toulonnaise depuis sa ville natale de Rappetto, proche
de Gênes. Nombreux furent ses compatriotes
venus en Provence dans la première moitié du vingtième siècle à la
recherche d’une meilleure existence que chez eux. Quant à sa mère, elle
était bien « Gibelin » comme sa sœur qui était aussi ma grand-mère. Il n'est resté,
dans les propos des membres de notre famille, aucune trace
de nostalgie, ni même de souvenir d’une éventuelle Italie. On pouvait
même ressentir quelque crainte de voir arriver parmi eux, qui étaient
pauvres, de plus pauvres encore. Réticence plus économique que xénophobe
vis-à-vis d’un peuple proche dans l’espace, l’histoire et la culture.
L’avenir a d’ailleurs montré que l’assimilation des nouveaux arrivés a
été très rapide.
L’immigration pose des problèmes d’une toute autre ampleur en ce début
du 21ème siècle, les différences de race, de religion et de culture
étant plus profondes. Mais pour nos aïeux provençaux, l’intégration de
leurs voisins italiens se fit sans difficultés. Ainsi, quelques dizaines
d’années plus tard, quand les Espagnols exilés par la guerre civile
vinrent à leur tour chercher refuge en France, ma mère aimait rapporter
les propos savoureux de ces nouveaux Français, Italiens immigrés de
première génération, qui se plaignaient de ce que les Espagnols
"viennent manger le pain des Italiens en France".
Je me suis donc rendu à l’évidence : les Gibelin dont notre famille est
issue, n’avaient rien à voir avec ces partisans de l’empereur qui ont
sévi dans l’Italie médiévale et qui tiraient eux-mêmes l’origine de leur
nom de Waibligen château souabe du Bad Wurtemberg fief de la dynastie
des Hohenstaufen (je crois avoir perçu votre soupir de soulagement).
Revenons donc sur terre (celle de Maurin des Maures) et acceptons que
ces Gibelin qui peuplèrent le pays varois, aient eu un patronyme « bien
de chez nous » ce qui, après tout, n’est déjà pas si mal.
A la conquête des
marches perdues
Cependant ma soif d’en savoir plus a été aiguisée par ce qu’avait écrit
ma mère Olinde
dans
son journal d’une vie dont j’ai pu reproduire avec
plaisir et reconnaissance le fac-similé dans un site internet. Elle évoquait sa grand
mère maternelle, aux doux prénoms de Sabine, Madeleine et
Olinde. Ce dernier est devenu son premier prénom, elle ne l'aimait pas beaucoup, je trouve qu'il chante pourtant bien, mieux même que son original Olinda. J'ai découvert par la suite que cette aîeule descendait elle-même d'un maçon venu de Milan pour s'établir dans le Var, nous avons donc bien quand même dans notre arbre "notre" Rital. Elle avait épousé un Gibelin, prénommé Rolin Justin.
Or ce grand-père était décédé accidentellement 6 mois
après la naissance de sa fille, la mère de ma mère, de ce fait ma
grand-mère. Les circonstances de sa mort accidentelle en gare de
Carnoules, furent déjà un premier point qui me poussait à en savoir
plus. Et surtout, face au maigre faisceau d’indices de renseignements
prodigués par ma mère, l’envie de découvrir quels étaient ces aïeux
d’une Provence laborieuse et semble-t-il miséreuse.
Il faut dire à ce point du récit que la quantité d’informations que
délivraient les parents à leurs enfants sur leur jeunesse et à fortiori
sur leurs origines, était d’une minceur insignifiante. Je pensais
parfois que cela était dû (outre une grande différence d’âge pour ce qui
me concerne) au fait qu’à cette époque, l’essentiel des préoccupations
des parents était de travailler pour procurer à une nombreuse
descendance les moyens de vivre dans de bonnes conditions alors
qu’eux-mêmes étaient partis d’une situation économique et culturelle
proche de la misère.
Mais je ne suis pas sûr que pour les générations actuelles, ce silence
sur le passé de la famille ne soit pas encore entretenu, malgré le
développement exponentiel des moyens des connaissances et de
transmission de l’information.
Ma causticité habituelle me ferait plutôt
dire
à cause de plutôt que
malgré en faisant le constat
des millions de mes concitoyens scotchés sur leur
smartphone en affectant d'ignorer qu'ils son entourés d'êtres
vivants.
Toujours est-il que je ne disposais de rien sur l’existence de ces
ancêtres à part quelques dates et une première liste de noms, transmise
par une personne étrangère à la famille.
La façon dont celle-ci s’était
procurée de tels renseignements m’a montré que tout un chacun pouvait
aujourd’hui remonter dans les origines généalogiques de
toutes les
familles connues ou inconnues, en restant bien calé dans un
fauteuil pour consulter des sites internet d’archives communales dont la
numérisation s’effectue depuis les années 2000.
L'ère numérique au
secours de nos ancêtres
C’est en soi une nouvelle d’importance : nous ne sommes plus obligés de
quémander toute information sur notre famille à une "association
généalogique" dont le siège est à Salt Lake City. Entre 2010 et 2020 les archives d'état civil de tous les départements auront été numérisées à partir des microfilms réalisés il y a des dizaines d’années par la
dite
Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours (en abrégé LDS) autrement dit les Mormons, sous le couvert des "aides" apportées aux pays européens dans le cadre du Plan Marshall!
Les objectifs de cette secte étaient en effet de retrouver trace de tous les ancêtres (uniquement de couleur blanche) de par le monde entier afin de leur conférer un "baptême" accordant à celui qui le confère la félicité éternelle.
En attendant que les registres paroissiaux après remise en ordre éventuelle, soient tous scannés avec un apport de commentaires et un appareil critique et historique indispensables, ces documents visibles sur chacun des sites d'archives départementales, sont déjà devenus une mine d’or pour quiconque s’intéresse aux
conditions de vie de ses ancêtres. En effet, au-delà des données
strictement factuelles et donc très sèches, sur les naissances, mariages
et décès, apparaissent en filigrane dans ces clichés numériques la vie des habitants des communes de la France profonde du
19ème siècle, essentiellement rurale, ce qui est le cas de notre
famille comme de celles de la très grande majorité des Français
En écrivant ceci me vient en tête une chanson de ma prime jeunesse que
j’ai toujours écoutée avec émotion, les deux uniques stations de TSF de
l’époque la diffusaient souvent, heureusement car nous n’avions pas
encore de lecteurs de disques.
Les Trois Cloches narre en quelques couplets les 3 étapes de la vie d’un jeune paysan
(au sens littéral de quelqu’un qui habite dans le pays) et le clocher
rythme ces 3 phases par la tonalité de son tintement. J’ajoute pour
ceux qui n’ont pas encore enregistré ce chef d’œuvre en MP3 dans leur
i(pod ou phone ou pad ou nutile) qu’il était interprété pour
l’accompagnement chanté et le bourdon par les Compagnons de la Chanson
et pour la voix principale par Edith Piaf, excusez du peu. Ne faisons
pas de passéisme mais l’émotion est toujours aussi vive 70 ans après, et
ne faisons pas de rapprochement avec la pérennité du dernier top du hit
parade de la semaine vendu à des millions d’exemplaire, laissons chaque
chose à sa place.
Une lecture attentive, mais elle ne peut que l'être étant donné
l’acharnement méthodique des greffiers paroissiaux et communaux à
vouloir rendre illisible leurs textes qui ont de plus été maculés, fait
surgir ces trois moments d’émotions, joies d’une famille, puis de deux
réunies, puis tristesse sobre sans commentaire.
Ici tout est
authentique
Entendons-nous bien : je ne vais pas maintenant vous raconter l’histoire
d’une famille en vous fournissant des détails intéressants mais
complètement apocryphes. Je sais que c’est devenu une pratique courante
chez nombre de romanciers actuels, mais d’abord je n’en suis pas un, et
puis les « vrais » commettent souvent en procédant ainsi de réels délits
d’écriture. J’ai en tête le dernier "roman" que j’ai lu, écrit par un
(mauvais) critique musical, sur le retour de Serge Prokofiev en URSS en
pleine période stalinienne, ce que personne n’a jamais pu comprendre. On
n’est pas plus avancé après cent vingt pages de banalités inventées
telles des discussions de salons parisiens et des propos badins que l’on
fait tenir à ce compositeur pourtant très discret.
Ce que je souhaite est de restituer, au travers d’évènements factuels,
l’évolution de nos ancêtres aux 18ème et 19ème siècle. J'en donnerai une illustration : pour un ancêtre (celui qui vint s'établir au Cannet des Maures vers 1750) le curé auteur de l’acte,
signale qu’il est « illiteré » terme de l’époque pour qualifier
quelqu'un qui ne sait ni lire ni écrire; c'est donc une autre personne
qui doit signer à sa place l’acte de naissance de son premier enfant.
Pour le troisième il n’aura plus besoin de personne, une belle
calligraphie appliquée montre qu’il aura entre temps appris à lire et
écrire. Un peu plus tard, ce même aïeul signera
tous les actes de la
commune car il en sera devenu maire.
Vous pouvez certainement imaginer ce que cette découverte a provoqué
chez son arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils (c'est ainsi que les
logiciels d'arbre généalogique me qualifient). Un sentiment mêlé de
joie, de fierté, de reconnaissance émue qui m'a fait souhaiter en savoir
plus à la fois sur ce "père" (en attendant de remonter plus loin) de la
dynastie Gibelin, mais aussi sur toute la chaîne de ses descendants qui
sont mes ascendants.
Registres
paroissiaux et Etat Civil, mines d'or pour orpailleurs historiens
Encore un mot sur la nature des données que l’on peut recueillir. Avant
la Révolution, il n'y avait pas de communes, mais des paroisses. Tous
les évènements de la vie, au sens de l’Eglise catholique, étaient notés
par les curés qui tenaient à jour un registre paroissial chronologique
et unique pour baptêmes, bénédictions nuptiales et sépultures. Ce qu'en
terme républicain nous qualifions de naissance, mariage
et décès. Mais en consultant n’importe quelle page au hasard, on peut dire
sans être taxé d’anticléricalisme, que les qualités de curé et de
greffier étaient apparemment incompatibles.
Changement de décor en 1792, de forme d’abord avec le calendrier
révolutionnaire. Déterminer que le 18 thermidor an XII est le 6 août
1804 ne peut se faire sans l’aide d’une table de correspondance. En
effet les 12 mois révolutionnaires aux noms si poétiques démarrent en
vendémiaire, entre ce qui est pour nous le 22 et le 24 septembre, et
sont en constant décalage puisqu'ils ont une durée unique de 30 jours.
Ce qui conduit, comme l'avaient fait les Mayas, à placer 5 voire 6 jours
complémentaires en fin d'année pour rattraper l'année solaire.
Changement de fond surtout, car ce sont les communes qui enregistrent de
façon séparée mais toujours chronologique, les naissances, les mariages et
les morts. Le texte est en général plus lisible, quoique encore parfois
« patte de mouche ».
La consultation des actes de décès donne une idée de la faible espérance
de vie de nos ancêtres des campagnes du 19ème siècle. On imagine parmi
les causes, l’hygiène, la malnutrition, et puis les épidémies, comme
lorsque l’on voit une série de feuilles consécutives relatant en
quelques semaines la disparition de toute une famille, enfants et
parents, voire la moitié du village (années de peste).
Les actes de naissances enregistrant les enfants trouvés (parfois un par
semaine dans de petites communes) donnent paradoxalement le plus de
détails sur les nouveaux nés, mais ce sont des informations dérisoires,
en vue de permettre une éventuelle identification. Il est fait une
description méticuleuse que je trouve assez terrifiante, des seules
choses dont on dispose : les pauvres effets, lambeaux de vêtements
laissés sur l’enfant.
La plaine des Maures
berceau de la famille
Les premiers Gibelin étaient à Sillans-la-Cascade, puis à Cotignac, mais la présente "saga" Gibelin se situe dans la plaine du Var entre Toulon et Saint-Tropez, centrée au Cannet des
Maures qui s’appelait à l’époque
Le Canet près le Luc.
L'agglomération devait certainement être réduite à ce que l’on appelle
maintenant le Vieux Cannet, quelques maisons sur un promontoire
aujourd’hui pollué (car le son monte) par le vacarme de l’A8, alors que
l’essentiel de la commune est maintenant dans la plaine.
Nous sommes au cœur d’un territoire à qui les organismes de promotion
touristique du Var ont récemment attribué le nom de « la Provence verte
» terme qui aurait bien ahuri nos ancêtres. Car ce n’est que depuis peu
que l’eau est devenue accessible à tous, grâce aux travaux d’aménagement
du canal de Provence. Au début du siècle (le 20ème) l’eau était en été
une denrée très rare. Dans son journal, Olinde Bouvant raconte comment
il fallait chaque jour faire la queue à la fontaine du La Garde, cité de
la banlieue toulonnaise, pour remplir un seau d’eau pour les besoins
ménagers.
La situation était encore précaire lorsqu’au milieu des années 1960 son
fils Gérard donc mon frère, a essayé de faire pousser des carottes dans
un champ qu’il cultivait dans cette même commune. Après moult transports
de barriques d'eau avec son véhicule, il a du renoncer laissant sur
place, tel Jean de Florette, son énergie et ses illusions.
Non ce n’était en rien la Provence verte, et si l’on veut se faire une
idée de la condition de nos aïeux du centre Var, il faut avoir plutôt à
l’esprit ces combats pour la possession de l’eau qu’a romancés Marcel
Pagnol dans Manon des Sources. Rassurons-nous, il n’a été relevé aucun
Ugolin ni Papet sur les listes trouvées dans les registres communaux
concernant nos familles Gibelin ou Serre. Mais il est aisé d’imaginer ce
qui a pu arriver à tel ou tel d’entre eux quand on voit que sa
profession a évolué au fil des registres, donc des années, passant de
propriétaire à agriculteur puis simple ménager.
Soyons plus précis pour évoquer ce pays de façon littéraire. La Provence
est connue du reste de la France principalement par les écrits de quatre
écrivains. Le plus célèbre est Frédéric Mistral qui a, avec Daudet,
romancé le folklore d’un secteur bien déterminé autour du delta du
Rhône, Arles et la plaine de la Crau. Mais notre Provence à nous n’est
pas celle de Mireille.
Jean Giono grand classique de la littérature est l’homme de la Provence
du Haut, de ce département qui s’appelait autrefois les Basses-Alpes et
que l’on a rebaptisé Alpes de Hautes Provence, ce qui entre nous a une
toute autre allure, ne trouvez-vous pas ? C'est la Provence de l'autre grand-mère, celle des Robert. Elle est d'une plus grande rudesse de climat, avec une nature parfois cruelle, que l’on se rappelle
de
Regain ou
Un de Baumugnes. Mais la sécheresse, qui
est au centre des préoccupations, a bien été partagée par tous les ancêtres, Serre, Gibelin ou Robert.
Une part de Pagnol se rapproche aussi de cette
atmosphère comme on l’a vu avec la lutte pour l’eau. Mais l’essentiel de
sa renommée repose sur les bons mots ou les galéjades marseillaises très
populaires, ce qui nous situe, disons, dans une autre Provence, que nous
ne dénigrerons pas car nous l'aimons bien celle-là aussi.
L’idée la plus juste de « notre » Provence nous l’aurons avec le
quatrième écrivain
Jean Aicard qui nous est cher à double titre. D’abord
bien sûr parce qu’il écrit sur notre territoire qui est le sien, les
titres de ses romans les plus connus l’évoquent avec force :
Maurin
des Maures, Gaspard de Besse. Nous les dédions à nos ancêtres
Gibelin et Serre qui à cette époque apprenaient à lire.
Ensuite parce que notre famille le croise personnellement à deux
reprises. Une première, c’était en 1909, Jean Aicard vient d’être élu à
l’Académie Française, on lui fait un triomphe à son retour à La Garde où
il résidait. Les enfants de l’école ont été réunis pour l'accueillir,
l’un d’entre eux va lui offrir le bouquet de fleurs des champs qu’ils
étaient allés cueillir ensemble. Cet enfant était une petite fille de 10
ans aux cheveux blonds qui s’appelait Olinde Serre, ma mère.
Plus tard s’est produit un événement dont la célébrité locale est à
l'origine. Il avait eu un accident de la circulation en 1915 et ne
pouvait plus conduire. Le préfet maritime, pour lui être agréable, lui a
détaché fin 1918 comme chauffeur un jeune marin en cours de
démobilisation car il
avait son permis de conduire (chose assez exceptionnelle
à l’époque).
Ce marin avait depuis 1911, effectué trois années de
service « normal » puis les 4 années de la guerre en Méditerranée ;
en 1919 il était à Hourtin en attente de démobilisation, et le préfet avait du se dire que quelques mois de plus, ce serait peu de chose. Le nom de ce marin était Eugène Bouvant, mon père.
C’est donc en allant chaque jour relever le courrier de l’écrivain au
bureau de poste de La Garde que le matelot Eugène a trouvé charmante la
préposée qui venait d’être recrutée après avoir mis fin à ses études,
elle portait le prénom d’Olinde. Il est bien normal que Jean Aicard soit
au cœur de ce récit qu'il a suscité sans le savoir et que nous pouvons lui dédier car sans lui n’auraient pu
voir le jour ma fratrie de huit enfants, nos
quinze enfants et leurs suites.
André Gibelin fondateur de la "dynastie" du Cannet est né à Cotignac

Cette commune du Centre Var est bien connue car elle
est devenue autour des années 1990 la nouvelle coqueluche d’une certaine
bourgeoisie voulant refaire en ces lieux ce qui avait si bien réussi en
d’autres tel Saint-Tropez cinquante années plus tôt, ou Gordes plus
récemment. Surfant sur cette vogue nombre d’accueils en
chambres d’hôtes ont été créés dans des maisons neuves de lotissements
sans charme en campagne proche et dans d’anciennes maisons de maîtres
poussièreuses du centre.
Le fac similé de l'acte de naissance n'est pas d'une très grande lisibilité. Toutefois on peut retrouver tous les mots. Le curé de Cotignac ne faisait pas de grandes phrases comme certains de ses confrères. L'acte est relativement sobre. En voici la traduction :
André Gibelin fils légitime de Jean Honnoré Grégoire et de Rose Garnier né le seize décembre sur les quatre heurs du matin a été baptisé le même jour par moi prêtre soussigné l'an 1746. Le parrain a été André Beuf et la marraine Anne Fabres tous illiterés de ce enquis (signé) Dauphin prêtre
Il vient au Canet près
le Luc et trouve un emploi chez la marquise de Colbert
C’est donc aux pas d’André que nous nous allons nous attacher, nous
éloignant de Cotignac pour un ancrage en la commune du Canet
près le Luc, à une petite vingtaine de kilomètres de là. Peuplée
aujourd'hui de quatre mille habitants elle est devenue Le Cannet des
Maures. Elle est au coeur de la Plaine des Maures, nom donné à la seule
réserve classée du Var, créée à la suite de vicissitudes occasionnées
par l’urbanisation, notamment la bataille médiatisée pour la survie de
la tortue d’Hermann.
A l’époque, dans les années 1770, hors l’ancien village niché sur son
promontoire haut de 130 mètres (aujourd’hui le Vieux-Cannet très beau
hameau de vieilles bâtisses en pierre blotties autour de l’Eglise en
surplomb) les fermes devaient être disséminées dans la plaine autour du
château du marquis de Colbert et certainement sous sa dépendance. C’est
ce château qui a arrêté les pas de notre André puisqu’il a été engagé
dans les années 1760 comme domestique de la marquise de Colbert. La
relation de son mariage par le curé de la paroisse est très explicite.
Nous sommes dans l’Ancien Régime, c’est donc l’Eglise qui gère tout, de
la naissance à la mort. Elle a
instauré une
obligation de 3 annonces préalables de mariages faites en chaire par le
curé lors de l’office dominical, pratique reprise après la révolution
par les bans républicains publiés en mairies.
Il épouse une paysanne
filleule de la marquise
Ce mariage est prononcé le 8 février 1773 à l’église
après les trois annonces en chaire des deux semaines précédentes et du
matin même jour de la Chandeleur, elles n’ont donné lieu à aucune
opposition.
Il est confirmé qu’André est né dans la « paroisse » de
Cotignac il y a 26 ans mais qu’il réside déjà depuis longtemps dans
cette paroisse.
Son épouse est Rossoline Victoire Camail, fille de
Antoine Camail ménager et de Thérèse Audrac.
Au-delà de son acte de
mariage, c’est une meilleure connaissance de la jeune mariée qui permet
d’éclairer de façon significative le processus d’ascension sociale
d’André.
L’acte de naissance de la jeune femme établi au Cannet le 9 octobre
1746 révèle en effet que celle-ci a bénéficié de
prestigieux soutiens, en l’occurrence son parrain qui était « Messire
Pierre Louis de Rascas seigneur de ce lieu du Canet » et sa marraine «
madame Rossoline Victoire de Villeneuve de Marselli de Toulon » La
marraine avait fourni les deux prénoms de sa filleule, celui de
Rossoline était très usité au 19ème siècle, il semble qu’il se soit
transformé en Rosalie puisque certaines personnes se voient plus tard
dotées indifféremment de l’un ou l’autre au gré des actes.
Il est dommage que le curé n’ait pas indiqué la profession de Rossoline.
Cela aurait permis de limiter le champ des supputations possibles sur
notre ancêtre Rossoline qui disparaîtra relativement jeune après avoir
donné naissance aux cinq acteurs principaux de la « dynastie » des
Gibelin du Cannet du 19ème siècle.
On peut supposer qu’André soit devenu domestique de la famille de
Colbert grâce au soutien de sa jeune amie qui était filleule du maître
des lieux, ou qu’il a simplement fait sa connaissance après avoir pu
être admis grâce à une autre intervention. Une certitude est que c’est
bien la proximité de relations avec les châtelains du pays qui a permis
au couple de s’élever dans la hiérarchie sociale.
La naissance de sept
enfants, un chaque année paire
Un autre témoignage en est donné lors de la naissance du premier enfant
du couple, Maxime, une fille, en décembre de l’année suivante. La
rédaction du document par le curé Giraud est un petit
chef d’œuvre de la prose de l’état civil sous l’ancien régime. Quelques
lignes seulement, d’abord l’annonce formelle du baptême et de la
naissance.
Puis la description du parrain et de la marraine, et là on
voit que le curé s’est littéralement « lâché » il semble ne pas en
revenir d’avoir été nommé parrain en association avec la marquise
régnant sur le pays. Lui-même était certainement, comme beaucoup de ses
collègues du petit clergé, d’origine plus que modeste, l’éducation lui a
permis de devenir le pasteur de sa paroisse.
Le père étant illettré,
c’est à la marraine d’authentifier l’acte avec le curé de la paroisse.
Savourons la description par le curé Giraud de
la marraine haute
puissante Dame madame... et sa jubilation de pouvoir terminer
l’acte par ces mots «la marraine a signé avec nous parrain» :
L’an
mil sept cent soixante et quatorze et le deuxième décembre a été
baptisée dans cette paroisse Maxime Jeanne Gibelin fille naturelle et
légitime d’André Gibelin née le jourdhuy matin le parrain a été
messire Jean-Baptiste Giraud curé de cette paroisse et la marraine
haute et puissante Dame madame maxime françoise Elisabeth de Rascas de
Colbert marquise du Canet le père présent illeteré la marraine a signé
avec nous parrain (signatures) Giraud curé rascas de Colbert
Décidément, ces simples actes administratifs nous donnent en quelques
lignes des leçons d’histoire de France édifiantes. Nous sommes ici en
effet à 16 années de l’éclatement de la Révolution et trouvons les trois
ordres réunis dans ce papier : la noblesse, le clergé et le tiers-état.
Celui-ci, en la personne de nos deux aïeux, va très vite grimper les
échelons puisqu’on découvre 17 années plus tard que le jeune domestique,
instruit, est devenu maire de sa commune au sortir de la période
révolutionnaire et troublée. Pour l’instant il ne sait ni lire ni
écrire, le curé le signale et demande en conséquence à la marraine de
l’enfant de signer à sa place.
Les enfants vont se succéder régulièrement, chez nos aïeux, leurs actes
de vie nous en apprennent un peu plus sur les parents.
Ce sera d’abord Alexandre Louis André le 12 septembre 1776 dont le
parrain et la marraine seront tous deux de haute lignée (au vu de la
longueur de leur appellation composée) certainement proches de la
famille de Colbert. André est bien mentionné comme domestique de madame
de Colbert. C’est sous le nom de Louis que cet enfant sera par la suite
connu, et même bien connu puisqu’on le retrouvera au bas de nombreux
actes administratifs de la commune du Cannet, comme témoin et surtout
comme maire pendant de nombreuses années.
Puis Etienne le 20 septembre 1778, dont le parrain est « negotiant » et
la marraine notable de Gonfaron, mais la profession d’André n’étant pas
précisée on ne sait s’il est encore au service de la marquise de
Colbert.
Le 5 août 1780 Gabriel André a pour marraine Marie Gabriele Raphaèle
marquise du Canet « qui a signé avec moi » Matte vicaire ayant succédé
au curé Giraud. André est devenu négociant mais ses relations avec la
famille de Colbert restent excellentes puisque la marquise marraine à
nouveau l’enfant.
Le 18 septembre 1782 à la naissance de Marie Eleonor,
la marquise est à nouveau sollicitée pour être la marraine.
André est
bien négociant mais cette fois-ci la signature de la marquise qui figure
au bas de l’acte, n’est plus indispensable car « le père présent » a
signé, on peut admirer la calligraphie soignée de son nom, sans le
prénom, au-dessous de la signature majestueuse de la marquise.
Le
fac-similé de l’acte est éloquent sur ces points. Notre ancêtre a donc
appris à lire et écrire au début des années 1880 ; il ira plus loin en
devenant maire du Cannet.
Autre
particularité de cet acte. Il est fait appel, ce qui est
un fait exceptionnel, à un parrain dont la profession est avocat. Il
s’agit probablement d’une relation d’affaires d’André qui est devenu
négociant, cela confirme son habileté et la tournure prise par sa
situation sociale.
Décès de Rossoline.Malheureusement, Rossoline
décédait le 22 avril 1784, âgée de 38 ans.
André se retrouve seul avec 5 enfants dont l’âge va de 18 mois à 9 ans
et demi.
Un remariage dans les
mois qui suivent le décès de l'épouse
Le veuvage sera de courte durée puisque les registres paroissiaux
mentionnent son remariage le 7 septembre de la même année, peu de mois
après le décès de Rossoline, avec Marie
Barbaroux, née le 9 décembre 1851, elle a 33 ans.
C'est « après la publication
d’un seul ban faite en cette église à la messe paroissiale, vu la
dispense des deux autres bans par l’évêque » que
le mariage est prononcé.
André souhaitait certainement
se remarier rapidement, mais faire une demande forcément lourde auprès
de la hiérarchie catholique pour gagner deux semaines laisse à penser
qu’il y a eu une autre raison que celle de vouloir gagner deux semaines
seulement.
La cause n'était pas une grossesse déjà engagée (cas
le plus fréquent à l’origine d’une telle demande). Les veufs pouvaient
se remarier sans problème peu de mois après le décès de leur épouse. Ce
qui n’était pas le cas des veuves devant laisser passer une période d’au
moins une potentielle grossesse avant d’avoir la possibilité de convoler
à nouveau.
Si André a demandé une telle dispense c’est pour que son
nouveau mariage ne fasse pas l’objet d'une publicité nuisible à
l’évolution de sa situation sociale et à sa proximité de la famille du
seigneur du Canet. La hiérarchie catholique admettait comme parfaitement
valable cette raison invoquée par des pères de famille nombreuse voulant
donner rapidement à leurs enfants une seconde mère.
Avec sa seconde épouse, il conserve la tradition en sollicitant la
petite noblesse pour parrain et marraine. Le
premier enfant d’André et Marie en 1786 est prénommé
Madeleine Edouard, dans cet ordre.
En effet, le parrain est bien messire
Etienne Édouard Louis de Colbert lieutenant de vaisseaux du roy, mais le
premier prénom est celui de la marraine demoiselle Madeleine de Seillan
de la ville de Draguignan. Le curé qui se présente comme le soussigné
n’est plus Giraud, il n’ose pas comme son devancier afficher son nom aux
côtés de ceux prestigieux des seigneurs locaux qui signent
majestueusement colbertducanet et magdeleine seillan. Est-ce par
modestie naturelle ? Je pencherai plutôt pour une raison plus prosaïque.
Nous sommes à cinq années seulement de la Révolution Française, les
idées du siècle des lumières ont largement circulé, un homme instruit
comme ce curé peut avoir perçu le danger qu’il y a maintenant à se
montrer proche d'une hiérarchie bientôt honnie. Quand je vous disais que
l’histoire de France se lit en filigrane d’actes administratifs anodins.
On se plait à imaginer que la marraine madeleine, célibataire et
certainement dame patronnesse, a demandé que la préséance lui soit
donnée, que ce soit un garçon ou une fille. Bien entendu ce malheureux a
toujours utilisé son seul second prénom au cours de sa vie.
Le 31 août 1788 naît le dernier et septième enfant d’André, prénommé
Louis André Lazare. Cette fois la famille Gibelin semble s’être prise en
main, en choisissant comme parrain et marraine le frère et la sœur aînés
du nouveau né.
Si l’ainée Maxime, qui a 14 ans, est notée comme « illiterée » le cadet
Louis, qui avait 12 ans, signe comme parrain en compagnie du père. Ce
gamin n’était donc déjà plus illettré, et il deviendra dans les années
1830 lui aussi maire du Cannet.
André n'était pas un horloger suisse, mais sa régularité a quelque chose
de très surprenant : entre son mariage et la naissance du septième
enfant, il y a eu une naissance tous les deux ans, à la même époque,
sauf en 1984 qui a vu son épouse décéder quelques mois avant la période
d'accouchement "habituelle". Au point de se demander si sa mort n'aurait
pas été liée à une sixième grossesse en cours. Mais sous l'Ancien Régime
comme plus tard sous la république, les actes de décès sont, sur la
cause des décès, muets comme des tombes, pour faire un jeu de mot facile
met macabre.
Une carrière brillante
de notable
La carrière de négociant de notre aïeul fondateur semble ne pas avoir
duré au-delà des premières années 1800. Il devient suivant les actes
propriétaire ou cultivateur, mais son nom va être immortalisé car il
figure en beaux caractères calligraphiés sur un grand nombre d’actes
civils de la commune, naissances, mariages et décès. Il est en effet
devenu maire du Cannet en août 1806. Il a quitté la fonction en 1810.
On retrouvera son nom en diverses occasions au bas des actes (mais sous
la seule appellation André Gibelin) comme témoin de l’un ou l’autre des
trois sortes d’actes, à l’instar de presque tous ses enfants. Etaient
requis en effet au moins deux personnes pour naissances et décès et
quatre pour les mariages.
Cet acte est accompli la plupart du temps dans un simple esprit de
civisme, il ne faut pas perdre de vue que l’immense majorité de la
population de ces communes du centre var était illettrée en 1800 ou
comme on l’écrivait alors « illiterée ». Les signataires potentiels
étaient donc fortement sollicités. Au-delà du service rendu, un
témoignage révèle une marque de sympathie lorsqu’il s’agit d’un membre
de la famille. A contrario, son absence dénote une opposition ou au
moins une gêne.
Quant au maire, sa responsabilité et sa signature
obligatoires sont d’un formalisme strict ; quelle que soit la nature de
l’évènement, sa joie, sa douleur ou sa désapprobation ne peuvent
transpirer. On imagine cependant sans peine de quels sentiments il peut
être animé en signant certains actes, car la vie des familles paysannes
du centre var au seuil du 19ème siècle était loin d’être menée le long
d’un chemin tranquille.
Quand il
meurt le 1er mars 1825, à l’âge de 79 ans, l'acte retient
comme profession principala le titre de propriétaire
Les enfants d'André
Sept enfants viables furent mis au monde , les cinq premiers par
Rossoline pendant les dix années de vie commune avec André qui eut après
la mort de celle-ci et son remariage avec Marie deux autres enfants.
Faisons plus ample connaissance avec les enfants nés, comme on le dit,
du premier lit : une fille Maxime, trois garçons Louis, Gabriel,
Etienne, une fille Eleonore. Le troisième, Gabriel André, était notre
aïeul. Avant de s'intéresser à lui et à ses descendants, il est bon de
décrire autant que faire se peut la vie mouvementée des aînés, car elle
nous permet de mieux appréhender les conditions de vie et les
difficultés vécues par nos ancêtres.
Ce sera fait avec un soin particulier pour l'aînée dont les pans de vie
qui se sont progressivement (mais partiellement) dévoilés au gré d'une
navigation méthodique dans les registres de plusieurs communes, nous ont
fait aller de surprise en surprise.
Les énigmes de Maxime: ce
n’est pas le titre d’un feuilleton, ce pourrait être celui d’un roman,
pas dans le style comtesse de Ségur, plutôt dans celui de Zola s’il
avait connu la Provence. Quelque chose comme
les Rougon-Macquart au
pays de Maurin des Maures
2ème génération du Cannet : les
enfants d'André
voir ici l'arbre des 7 enfants d'André et leur famille
L'histoire de l'aînée aux nombreux enfants est relatée dans un chapire spécifique
Les énigmes de maxime.
Faisons connaissance avec ses quatre frères et soeur, Louis, Etienne, Gabriel et Eleonor, nés du
premier mariage d'André; le troisième, notre aïeul Gabriel André, sera
aussi présenté dans un chapitre spécifique
Gabriel.
Pour clore le présent chapitre, les deux derniers enfants d'André nés de la deuxième épouse Marie Barbarouse, il s'agit d'Edouard Madeleine et d'un deuxième Louis.
Louis
On rencontre le cadet Louis, devenu maire du cannet comme son père, dans un grand nombre d'actes civils d'ordre privé et public. Son
acte de naissance (appelé alors acte de baptême car nous
sommes sous l'ancien régime en 1776) lui accorde trois prénoms,
Alexandre, Louis et André. Le premier est une sorte de passage obligé
car c'est celui du parrain qui est de la famille seigneuriale des
Colbert, de laquelle il est bien mentionné que le père André (d'où le
troisième prénom) était domestique. Il restera en définitive au cadet de
la famille le prénom Louis qui lui appartiendra en propre, nous ne le
rencontrerons plus que sous cette seule appellation dans sa vie
publique. Ce qui ne sera pas sans poser problème car il y aura d'autres
Louis dans la famille qu'il va fonder. De même qu'un certain nombre
d'enfants de l'aînée se sont aussi appelés maxime, et que l'on aura
aussi une multiplication du prénom du père chez Gabriel, tous trois
ayant eu plusieurs enfants.
translation de l'acte de naissance ci-joint :
L'an mil sept cent soixante seize et le treize septembre a été baptisé dans cette paroisse par moi curé soussigné Alexandre Louis André Gibelin né le jour d'hier fils naturel et légitime d'André Gibelin domestique de madame de Colbert ici présent et de Victoire Rossoline Camail. Le parrain a été messsire Alexandre Pierre Michel Colbert de Burgis et la marraine dame Claire Agathe Feraposte de la ville de Lorgues signe avec moi le père a déclaré ne le savoir
signatures de Claire Agathe Feraposte, Colbert Burgis et Giraud curé
Nous avons déjà longuement évoqué la première citation des deux aînés
Gibelin dans des actes autres que ceux qui les concernaient directement.
C'était douze années plus tard lors de la
naissance
du petit frère Louis Alexandre qu'ils ont parrainé.
J'avais alors souligné combien la différence qu'a bien marquée le curé
Giraud entre l'aînée
illitérée et son jeune frère qui
signait
avait pu être un traumatisme pour la soeur aînée. Ce m'est l'occasion de
dénoncer ce curé Giraud, que décidément je n'aime pas beaucoup, en
l'accusant publiquement de faux en écriture. C'est en effet lui qui a
signé à la place du jeune Louis, les deux noms
Louis à quelques
lignes d'intervalle sont bien de la même écriture, il n'y a pas photo
comme on dit à notre époque. Ce qui ne remet pas en cause le fait qu'à
12 ans le jeune Louis était en cours de formation à la lecture écriture
alors qu'âgée de deux ans de plus son aînée ne l'était pas. Le curé
Giraud l'avoue implicitement, lui qui avait la responsabilité de leur
éducation.
Il n'est pas étonnant que dans cette situation de cadet poussé par son
père pour faire carrière grâce à l'instruction, on retrouve très vite la
signature de Louis (authentique alors) sur un certain nombre d'actes
civils pour lesquels il intervient comme témoin à partir des dernières
années du siècle. Quelques exemples de sa signature éclairent sa
personnalité. Vers 1800, à peine sorti de l'adolescence, il a adopté une
signature "gothique" avec des enjolivures du plus bel effet. Dans les
années 1820 elle prendra une forme plus classique mais bien lisible, à
laquelle sera ajoutée le mot
maire dix ans plus tard.
Louis se marie en août 1813 avec une jeune fille de Lorgues
âgée de 27 ans Susanne Cézarine, l'ordre des prénoms de même que la
présence d'un z dans chacun d'eux varient au gré des actes civils plus
phonétiques que rigoureux. Son père Léon Vaille, décédé une quinzaine
d'années auparavant avait été négociant. La mère de l'épousée est
curieusement dénommée maxime Vaille de Vaille. Quant au marié Louis, il
n'est plus de toute première jeunesse, il a atteint 37 ans.
Le premier enfant apparaît l'année suivante, une
petite
fille nommée Anne Marie Louise. Il n'y a plus de parrain
à cette époque, mais deux témoins républicains de Lorgues.
Viendra ensuite un fils,
en
1816, Louis Adolphe Michel, les deux témoins étant aussi
de Lorgues on peut supposer que Suzanne avait gardé des attaches dans
cette commune.
Deux autres enfants naîtront dans le foyer de
Louis, à nouveau un garçon,
André
Romain Théodore en 1919, et enfin une fille en 1923,
prénommée
Elizabeth
Rosine Louise. J'écris enfin parce que sauf erreur de
ma part, la famille ne s'étendit pas au-delà. Il est vrai que Louis
avait alors 47 ans.
Donc plus de naissance chez Louis et Suzanne mais malheureusement deux
décès rapprochés, le premier de
Louis
Adolphe en 1926 , il n'avait pas encore atteint sa
dixième année. Trois ans plus tard, c'est au tour du deuxième garçon,
André Théodoric (petite variante du greffier)
de décéder au même âge que son aîné, peu de temps
aussi avant de fêter son dixième anniversaire.
Ces deux coups du sort ont du être mal vécus par Louis et Suzanne.
Celle-ci est
décédée quelques années plus tard. venant tout juste
de dépasser la cinquantaine. Louis qui a mené une vie active de
notable au Cannet, voyait ainsi, par la mort de ses deux seuls enfants
masculins, s'éteindre la lignée Gibelin en ce qui le concernait.
Il avait à cette époque des activités qui heureusement lui
permettaient de ne pas se morfondre. Professionnellement, il n'est pas
très aisé de déterminer quel a été son parcours comme l'on dit de nos
jours. Il est nommé soit propriétaire, soit agriculteur, mots passe
partout à l'époque dès que l'on devait posséder un lopin de terre.
Plus intéressante a été la qualification qui lui a été attribuée dans
un document. Il est alors présenté comme percepteur des contributions.
Il faudrait un peu mieux savoir comment cette activité était répartie
à cette époque dans nos campagnes, pour évaluer en quoi elle
consistait. Certainement pas un "job" à plein temps. En tout cas
l'activité disons principale de "propriétaire" lui est attribuée dans
la grande majorité des actes, y compris lors de son décès.
Entre temps ou pendant ce temps, Louis avait été, comme son père 20
ans plus tôt, nommé maire du Cannet. Je n'ai pas mentionné la fonction
de maire comme profession, en 1830 comme à notre époque, l'activité de
premier magistrat des petites communes rurales, bien que parfois très
absorbante, n'est pas de celles qui permettent de nourrir une famille.
Notre Louis n'a de toute façon pas chômé dans la période où il a
exercé ses fonctions. Les actes d'état civil en témoignent amplement,
on a vu aussi qu'il avait dirigé la conduite des premiers recensements
de la population instaurés pendant sa mandature. Il est bien entendu
intervenu dans nombre d'actions et décisions publiques entreprises par
la commune, les archives municipales doivent en rendre compte, mais je
me suis intéressé à la famille seulement, c'est déjà beaucoup.
Parmi tous les actes qui passent entre les mains du
premier magistrat, il y en a inéluctablement qui concernent sa
famille. Il y avait eu le cas de son père confronté au brusque décès
de la jeune épouse de son fils Etienne. Louis a vécu plusieurs
évènements aussi douloureux, lorsqu'il doit s'enquérir auprès de
l'armée de ce qu'il est advenu du fils de l'un de ses frères et que
celle-ci lui répond brutalement qu'il est mort depuis 5 ans! Encore
plus près de lui, il doit signer sans commentaire en 1837 l'acte de
décès d'une citoyenne nommée Suzanne Vaille épouse de Louis Gibelin.
Sur
une compilation de ses signatures que
j'ai confectionnée, on voit son paraphe sur ce document et
sur celui qui le suit dans le cahier des décès. On décèle une tension
dans le premier, mais c'est tout. L'acte administratif n'est pas un
faire part de famille, le sentiment n'existe pas dans un texte
administratif.
Quelques années avant de décéder, Louis aura la joie de
marier l'une de ses deux filles, Elisabeth Rosine âgée
de 27 ans. L'époux Joseph Noël Aynaud est capitaine au vingtième de
ligne à Marseille, elle va donc aller habiter dans cette ville, mais
reviendra quelques années plus tard. Son époux, déjà relativement âgé
lors de leur mariage (il avait 50 ans) sera vite en retraite, ils
viendront alors s'établir dans la bonne vieille commune du Cannet où
Elisabeth
décède à 65 ans sans avoir eu d'enfants.
Quand
Louis meurt en 1854, il a 78 ans, et sa soeur aînée
maxime est décédée l'année précédente. Une vie bien remplie, riche en
actions au service de la communauté. Mais il ne laisse pas de
descendant Gibelin.
Etienne
Etienne est le troisième enfant de la dynastie instaurée par André,
il
est né quatre années après l'aînée maxime puisque ches
les gibelin du premier lit, un enfant naissait chaque année paire.
Il
se marie à 25 ans, en juin 1803, avec une habitante du
Cannet, Marie Sophie Aune qui a 39 ans et dont les parents sont
décédés. Le bas de l'acte est un véritable festival de signatures, pas
moins de douze, donc nombre d'amis et parents sont venus pour
accompagner les nouveaux mariés. Parmi eux André le père avec son
écriture en bâton, le frère Louis qui a perdu sa signature gothique,
et le marié dont le prénom suivi du nom sont d'une très belle écriture
avec des pleins et des déliés, comme des enfants que je connais très
bien la pratiquaient encore dans les années cinquante (du 20ème siècle
s'entend).
Hélas, le malheureux Etienne se retrouve veuf moins de trois ans plus
tard,
Marie
Sophie meurt le 2 juin 1806, deux heures après être
accouchée d'une petite fille qui est prénommée Françoise Sophie, qui
elle va survivre. André a été témoin de la
déclaration
de naissance d'Etienne qui se retrouve, comme son père
20 ans auparavant, veuf avec un enfant en bas âge (toutefois son père
en avait cinq, ce qui est une toute autre problématique) ne va pas
tarder à se remarier.
Il le fait
huit
mois plus tard, mais est-ce ses goûts ou les
circonstances qui en ont voulu ainsi, sa nouvelle épouse a encore onze
ans de plus que lui qui n'a que 28 ans, et comme la première épouse
ses parents son décédés. Elle est d'origine alsacienne ce qui a posé
alors et par la suite de gros problèmes pour les greffiers provençaux
peu au fait des subtilités des noms germaniques. Elle se prénomme
Marie Ursule mais le nom va osciller suivant les actes, le plus
vraisemblable étant Hyerisch.
Un fait important pour la famille Gibelin : le maire Guillou des deux
actes précédents a cédé sa place à André Gibelin qui pour l'occasion
change sa signature en gibelin maire. Outre le nom écorché de
l'épousée et son lieu de naissance, la date de naissance de l'épousé
le vieillit de 10 ans. Le nouveau maire a-t-il bien relu? C'est en
tout cas l'un de ses premiers actes puisqu'il vient tout juste
d'entrer en fonction, il a du être heureux que ce soit pour son fils.
Le nouveau couple n'allait pas tarder à voir un
nouveau visage apparaître, celui de
Joseph
Pierre né an avril 1807, soit six mois plus tard; le
mariage avait bien eu ses 2 bans de publication républicains, mais il
ne fallait pas trop tarder. Et l'on peut se rendre compte qu'une
nouvelle présence féminine avait été désirée à la fois pour le bébé né
quelques mois plus tôt et pour le père! Etienne qui était simplement
nommé comme propriétaire, ce qui on l'a vu ne signifie pas grand
chose, a mené comme son père et son aîné une vie sociale active.
Malheureusement pour lui, l'enfant né de sa deuxième union ne vivra
pas très vieux, les circonstances de son décès méritent d'être
contées. Nous apprenons sa mort par
un
acte de décès d'avril 1835. A cette époque Louis est
maire, c'est donc lui qui a la charge de rédiger l'acte. On apprend
avec surprise que le décès remonte à l'année 1830, Joseph avait 23 ans
et l'acte spécifie qu'il était domicilié "en suite du 29ème régiment
de ligne" car il était sergent fourrier. L'explication nous est donnée
plus loin par le maire Louis, oncle du décédé, qui a
transcrit au
present registre d'après l'extrait qui a été délivré par le ministre
de la guerre à la date du 4 mars 1835 d'après la demande de nous
maire d'après l'incitation des parents du dit Joseph Pierre.
Ainsi le maire a du faire des démarches auprès du ministère de la
guerre parce que son frère était sans nouvelles de son fils parti aux
armées depuis plusieurs années. Et c'est à lui de notifier à son frère
et à sa belle-soeur le décès de leur fils.
On est un peu confondu devant l'attitude de l'armée qui envoie
laconiquement un extrait de registre de décès, mort à telle date. Et
circulez, il n'y a plus rien à voir. On peut aussi avec ce fait
"divers" mieux se rendre compte comme nos ancêtres étaient démunis
dans de telles situations : un fils qui est aux armées ne donne pas
souvent de ses nouvelles, et pas du tout s'il ne sait pas écrire.
Alors ses parents essaient de se renseigner, leurs démarches ne sont
pas efficaces, elles n'aboutissent pas. Jusqu'au jour où ils
s'entendent dire "mais voyons il est mort depuis longtemps".
Il n'y aura donc pas au Cannet une version du retour de Martin Guerre
au foyer. Etienne Gibelin sera ainsi le deuxième de la fratrie à ne
pouvoir transmettre son patronyme. Il a comme son père, comme son
frère Louis, exercé une vie active d'élu au sein de la commune. Il
était conseiller municipal et pendant une période transitoire assez
longue, de juillet 1849 à mars 1850, assuré l'intérim du maire. C'est
donc lui qui durant cette période a signé tous les actes de la commune
en "faisant fonction de maire".
Quand
il meurt en 1858 il a réussi à aller un peu plus loin
que maxime et Louis car il est alors dans sa quatre-vingtième année.
Eleonor
Parlons maintenant, avant d'aborder notre aïeul Gabriel, de sa jeune
soeur Eleonor, deuxième enfant
femelle d'André Gibelin. Ce
sera très rapide car nous n'en connaissons que les actes de venue et
de sortie de notre monde. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer son
acte
de naissance en 1782 particulièrement maculé, où pour
la première fois son père était en mesure de signer, il avait
sollicité à nouveau et pour la dernière fois pour marraine la marquise
Rascas de Colbert et choisi un parrain à la profession inédite
d'avocat.
Nous n'avons plus d'information sur Marie Eleonore jusqu'à son
acte
de décès en février 1835 à l'âge de 53 ans, dans lequel
il est mentionné qu'elle est l'épouse de Jean Baptiste Roux, nom assez
usuel. Mais pas de trace de celui qui aurait été son époux, ni de leur
mariage. Laissons alors la vie d'Eleonor avec la seule certitude que
son éventuelle descendance aurait été en dehors du patronyme Gibelin.
Madeleine Edouard
C'est le premier des deux garçons de Marie Barbaroux nés après le
remariage d'André, qui appartiennent donc à une lignée Gibelin
voisine. A l'instar de son aînée maxime, l'existence de ce premier
fils de Marie intrigue dès
son acte de naissance. La particularité de son prénom
Magdeleine Edouard a été expliquée, dans la relation de la vie de son
père, par le choix d'une marraine, dame patronnesse de Draguignan, à
qui il a été concédé de donner son prénom en premier au nouvel enfant,
quel que soit son sexe. On comprend à deux cents ans de distance, que
cette appellation ridicule ait mal été vécue par le garçon qui n'a,
dès qu'il a pu le faire, gardé que celle d'Edouard. Mais pour les
actes officiels, Magdeleine viendra toujours en tête.
La proximité avec sa soeur maxime est une des premières informations
qui nous étaient apparues dans la vie de celle-ci, lorsqu'elle a
demandé à Edouard (nous préférons l'appeler ainsi!) de venir en la
maison commune de Vidauban pour être témoin de la naissance de sa
fille Sabine. Ceci avait quelque chose d'insolite dans la mesure où ce
témoin n'était âgé que de 14 ans, et non 15 comme l'indique ce fameux
acte perdu à Vidauban, mais dont une copie établie 24 ans plus tard
existe au Cannet. Alors que maxime disposait d'un père et de trois
frères plus âgés qui s'empressaient de donner leur témoignage à des
tas de personnes étrangères à la famille. Les actes parlent, on décèle
ici une proximité de deux enfants qui se sentaient un peu à l'écart du
reste de la famille. Impression renforcée par le fait qu'Edouard avait
complètement disparu du Cannet.
C'est aussi comme pour sa soeur que le hasard d'un mariage au Cannet bien des
années plus tard nous a mis sur sa trace. Un acte de 1829 relate
le mariage de Joseph Bertrand avec Rose Aicard, originaire de Trigance
et
veuve de Edouard Magdeleine Gibelin. Les
homonymies sont fréquentes mais des noms comme çà il n'y en a pas
deux! Ainsi Edouard s'était marié et il était mort. Pas moyen d'en
savoir plus jusqu'à ce que 15 ans plus tard, un autre mariage au
Cannet,
celui
de sa fille Marguerite nous donne, exactement
comme pour maxime, la clé du mystère. Il est en effet précisé que
cette jeune Gibelin est
née
22 ans plus tôt à Draguignan. Si à ce jour aucun acte
de mariage de Rose et Edouard n'a pu être trouvé dans cette commune ni
les autres possibles, celui du
décès
d'Edouard le 21 novembre 1823 indique qu'il s'était
bien évadé du milieu familial et agricole du Cannet pour s'établir à
Draguignan où il a été employé à la préfecture du Var. Il est
malheureusement décédé à 38 ans seulement, sa veuve avait l'âge de
refaire une nouvelle vie.

Les énigmes de Maxime
Ma chère Maxime
Je me suis senti autorisé de m’adresser à toi en des termes aussi
familiers par les longues heures que j’ai consacrées à rechercher les
traces de ton existence dans les registres complètement démunis de
sentiment des communes du Cannet et de Vidauban où s’est déroulée ton
existence. Bien sûr je t'indiquerai pour te rassurer comment je m'y suis
pris.
Ce que j’en ai appris, ce que j’ai pu déceler de joies et
malheureusement de drames ayant jalonné celle-ci, ont donné de toi une
image qui m’a beaucoup intéressé, et même ému. Je ne pouvais pas faire
moins que d’essayer de te le dire, c’est la première explication que je
te donne pour justifier cette apostrophe cavalière et familière :
considères-la comme une expression du respect affectueux que tu m’as
suscité.
Une intrusion dans
ton existence 150 ans après ton décès
Oui, mais vas-tu t’exclamer, voire t’insurger, pourquoi ai-je entrepris
cette intrusion dans ta vie privée, étant de toute évidence si loin de
toi dans le temps et dans l’espace, et que tu reposes en paix dans cette
bonne commune du Cannet près Le Luc. Je vais essayer de te le présenter
sans faire de longs discours, mais je tiens, dans cette conversation qui
ne se présente malheureusement que sous la forme d’un monologue, à te
donner toutes explications qui te permettent d’apprécier ce qui nous
sépare, ce sont des éléments factuels liés à la chronologie, mais aussi
ce qui nous rapproche, à caractère beaucoup plus sentimental.
Tu es née à la veille du grand bouleversement politique
et sociétal qu’a été la révolution de 1789, elle s’est fait ressentir
dans ta paisible plaine des Maures qui a toutefois été épargnée des
affres de la guillotine pendant toute la période appelée la Terreur.
Bien que je ne sache pas encore ce qu’il est advenu de la famille
seigneuriale, notamment de ta marraine la marquise de Colbert.
Je suis né près de cent cinquante années plus tard, alors que se
déclenchait une guerre d’importance mondiale entrainant des millions de
morts et des destructions de villes entières. Donc pire que les guerres
entreprises par Napoléon, que tu as vécues, dont j’ai noté au passage
qu’heureusement aucun élément de ta famille n’a été directement victime.
J’ai bientôt atteint l’âge auquel tu as quitté ce monde, et j’ai voulu
chercher, avec des moyens qui sont ceux de mon époque, le vingt et
unième siècle, des traces de mes ancêtres : les Gibelin en sont une
composante essentielle, voici pourquoi.
Ma mère s’appelait Olinde Serre, vivant dans la commune de la Garde près
Toulon. Sa mère s’appelait Augusta Gibelin, tu vois tout de suite où je
veux en venir. Elle évoquait souvent ce nom de famille, sans plus s’y
attarder, certainement, faut-il souligner, parce qu’elle-même ne savait
que très peu de choses sur ses origines. Une phrase qu’elle a écrite
dans ses souvenirs de mère de famille m’avait beaucoup intrigué. Elle a
eu onze grossesses, et nous étions huit enfants à la maison, à toi qui
en a eu tant, cela te parle plus que de longues périphrases. Elle
expliquait qu’elle n’avait pas connu son grand père (donc le père
d’Augusta) parce que celui-ci était mort à vingt six ans, dix huit mois
après son mariage et six mois après la naissance de sa fille (ma grand
mère).
Etant employé des chemins de fer il était décédé accidentellement à Carnoules
qui se situe à deux heures de calèche de chez toi. Aujourd’hui on met un
quart d’heure pour le trajet. Sitôt marié, il avait quitté Le Cannet où
il était né, car il avait trouvé du travail dans la compagnie des
chemins de fer dans cette commune. A la fin de ton existence, tu as
entendu parler de ce moyen de transport sur des rails que l’on a appelés
chemins de fer, avec des wagons entraînés par des locomotives à vapeur,
c’était la révolution du moment. Vous avez eu de nombreuses discussions
lorsqu’un projet de gare d’accueil des passagers au Cannet a été révélé
et elle était en construction lorsque tu est décédée. Elle sera
inaugurée quelques années plus tard.
Une autre gare existait dans la commune de Carnoules, plus importante
celle-là, car elle servait de dépôt pour les locomotives qui étaient de
belles mais effrayantes machines, c'est certainement l’une d’elles qui a
heurté mon malheureux aïeul.
Tout ceci pour t’expliquer l’intérêt qu'il a suscité en moi pour ma
branche Gibelin. C’est lui qui a été le trait d’union et m’a permis de
remonter jusqu’à toi. Je te livre son nom, Rolin Justin, son père était
ton neveu André Gabriel et le père de celui-ci était ton propre frère
Alexandre Gabriel.
Voilà, les présentations sont faites, tu sais maintenant d’où je viens
et comprends que ma curiosité était bien justifiée.
Les actes de
naissance, mariage et décès sont rendus publics
J’ai remonté la filière, nous disons la généalogie, de cette famille de
la commune du Cannet des Maures où était né Rolin. A ton époque on la
nommait
le Canet près du Luc. Je me suis (provisoirement
peut-être) arrêté à ton père André, je connais seulement le nom de tes
grands parents de Cotignac, Jean Honoré Gibelin et Rose, née Garnier,
sans plus d’information, mais j’ai de bonnes raisons de penser que tu ne
pourrais guère m’en dire plus toi-même.
J’ai donc essayé de trouver ses traces, arrivé très jeune au Cannet il
eut sept enfants à commencer par toi, Maxime. Je me suis logiquement
intéressé à chacun d’eux, ton jeune frère Gabriel sera mon aïeul. Mais
je dois te dire de suite que le coup de coeur je l’ai eu pour toi
lorsque le hasard, non ce n’est pas exact, je devrais dire la conduite
systématique de recherches, m’ont fait progressivement te découvrir dans
les registres publics des communes où tu as vécu.
Tu connaissais bien l’existence de ces registres, mais je ne peux pas
écrire que tu en aies pris connaissance, car j’ai découvert que tu
n’avais jamais pu lire et écrire tout au long de ton existence. Lorsque
tu es née, les documents étaient complètement gérés par l’Eglise
catholique, c’étaient donc des registres paroissiaux, qui notaient au
fur et à mesure les dates du baptême (on en déduisait celle de la
naissance) du mariage et de la sépulture. Les paroisses ont disparu avec
la royauté. A l’époque de ton adolescence, tout devint géré par la
commune et ses représentants élus ou désignés par le peuple.
Tous ces documents sont maintenant regroupés et bien classés dans chaque
commune. On peut comme de ton temps y avoir accès en se rendant sur
place dans la mairie, la maison commune comme on l’appelait. Mais il y a
maintenant bien mieux, on peut prendre connaissance de toutes les
informations contenues dans les registres de chaque commune depuis
n’importe quel endroit de l’univers, en restant bien assis dans son
fauteuil, comme je le suis maintenant pour t’écrire.
Magie de la
traversée du temps et de l'espace pour joindre ses aïeux
Rassures-toi je ne suis pas magicien, je fais encore moins appel au
diable ni aux divinités que l’on t’a appris à vénérer, que ce soit le
Père, le Fils ou le Saint-Esprit. Tout est explicable et rationnel pour
parler comme les penseurs de ton époque que nous avons appelée justement
le Siècle des Lumières. De grands progrès techniques sont intervenus
depuis ton départ, ainsi vais-je essayer, comme je te l’ai promis, de te
donner quelques explications sur ce qui à ton époque ne pouvait passer
que comme un miracle.
Toutefois, tu ne pourras absolument rien comprendre si je te dis tout de
go la façon dont je m’y prends pour obtenir les informations qui
concernent toute votre (notre !) famille. Aussi vais-je le faire à
partir de quelque chose qui t’était très familier, car son évolution
t’aidera à comprendre comment fonctionnent les outils dont je me sers
pour entrer en communication avec toi.
Tu as connu dans ton beau pays des Maures l’élevage des vers à soie dont
la production était ensuite traitée et tissée notamment à Lyon avec ces
grandes machines qu’étaient les métiers à tisser. Les mûriers
producteurs de feuilles étaient nombreux en Centre Var qui était l’un
des plus importants territoires de production, Le Cannet est au cœur de
ce territoire.
Tout ton environnement était peuplé de mûriers, nécessaires pour obtenir
les quantités phénoménales de feuilles absorbées par les vers. Il y en
avait de partout au bord des chemins et de chacun des ruisseaux que l’on
pouvait la plupart du temps franchir assez facilement, comme tu le
faisais en prenant les raccourcis entre les différents lieux de
ramassage de feuilles. Pas de frontières entre Le Cannet, Vidauban et
Thoronet, on passe sans le savoir de l’une à l’autre à travers ces
champs traversés par les roubines, comme vous nommiez ces petits
ruisseaux.
Tu as toi-même dans ta jeunesse été, j’en suis certain, l’une de ces
magnanarelles qui vont à la magnanerie pour dévider les cocons et filer
la soie. Plus tard, avec ton époux Honnoré, vous avez élevé des vers à
soie dans votre petite bastide située au Thoronet, mais qui dépend
administrativement de Vidauban, pout améliorer les maigres ressources
procurées par les activités de ménager d’Honnoré. Il n’a eu en effet que
très épisodiquement le statut d’agriculteur et celui de ménager (qui
n’est plus utilisé à notre époque) est attaché à des activités humbles
et peu rémunérées. Et tu as toi-même, j’en suis là aussi certain,
pratiqué l’incubation des cocons dans l’édredon familial ou dans des
sachets de toile que tu portais sur la poitrine, comme le faisaient les
autres femmes de la commune. Avec elles tu as sans doute porté de cette
manière des œufs sur le point d’éclore pour marcher en longues
processions chaque année à l’église Saint Michel sur le promontoire de
l’ancien village. Ou même à la grande procession vers la chapelle Saint
Ferréol en 1840, à coup sûr avec tes enfants adultes qui vivaient alors
avec toi à ce moment là. Lorgues est en effet, tout près de votre
bastide du Thoronet. Ce que je ne sais pas, c’est si la clémence du ciel
a répondu à vos attentes qui étaient de bénéficier de bonnes conditions
pour les vers à soie.
Les métiers qui tissaient la soie à partir de votre production avaient
subi une révolution au début du siècle, donc à l’époque de tes grands
parents. Vous connaissiez son existence mais bien peu ont su en quoi
elle consistait exactement. En quelques mots, il s’agissait de commander
les mouvements de navettes en faisant défiler un carton sur lesquels une
suite de lignes avec des trous commandaient chacun mouvement spécifique
en guidant les crochets qui soulèvent les fils de chaine. L’enchaînement
de ces différents mouvements que réalisaient des ouvriers était
maintenant fait automatiquement.
C’est ce principe qui était celui des automates. Si les citoyens des
villes connaissaient bien ceux-ci à ton époque, il n’en était
malheureusement pas de même au Cannet, vous en avez toutefois eu
connaissance. Eh bien c’est en partant de ce principe que l’on vient de
réaliser des machines qui emmagasinent et traitent des quantités énormes
d’informations dans une petite boîte. Par exemple tout ce qui concerne
le Canet et chacun de ses habitants pendant des centaines d’années.
Pour cela il a fallu qu’une autre invention, universelle celle-là,
apparaisse, on l’a appelée l’électricité, et souvent comparée à une fée,
avec elle en effet on aurait vu à l’intérieur de ta bastide comme en
plein jour même la nuit. C’est elle qui a permis de faire fonctionner
des boîtes que l’on appelle ordinateurs (je t’écris sur l’un d’eux)
fonctionnant avec des programmes qui ont pris la suite des automates à
cartons de commandes des métiers à tisser.
Une autre invention encore plus magique, ou plus féérique, comme tu
voudras, va compléter mon dispositif pour donner accès à tout ce que
j’ai appris sur toi. Elle permet de transférer par les airs (on appelle
cela des ondes) les informations d’une boîte dans une autre. Ainsi de
mon ordinateur éloigné (je suis venu habiter dans une ville très au nord
de la Provence qui s’appelle Vichy) je vais consulter comme je le veux
les registres du Cannet qui ont été copiés dans un ordinateur de la
commune. Je n’en dirai pas plus, il faudrait des centaines de livres
pour prendre connaissance de tout ce qui se passe , c’est l’œuvre de
milliers de savants et techniciens depuis deux siècles, ce qui nous
intéresse est que chacun l’utilise facilement et tu en ferais de même.
Nos aïeux ont
subi les conséquences néfastes des progrès techniques
Te connaissant (un peu) je sais que tu as pressenti l’aspect négatif de
tout ce « progrès ». La mécanisation des métiers à tisser a supprimé
beaucoup d’emplois chez les ouvriers de Lyon. Il en est résulté un grand
mouvement connu comme la révolte des Canuts. Vous en avez eu des échos,
car elle s’est produite en 1831, à l’époque où ton frère Louis était le
maire. Vous avez été inquiets pour votre avenir dans votre commune si
dépendante de cette activité.
Auparavant,au début du siècle,la Révolution qui considérait que la soie
était un produit de luxe liée à l’ancien régime, avait fait abattre un
grand nombre de mûriers, mais à l’époque de votre pleine activité vous
avez pu en replanter, vous aviez une aide de 2 et parfois 3 francs par
arbre replanté. Le Cannet avait ainsi vu son parc de mûriers reprendre
vie. Mais progressivement la mise en service de chauffeuses
industrielles a supprimé cette petite activité que vous meniez à la
maison. Puis la maladie des vers à soie, et surtout la concurrence
étrangère étouffèrent l’activité sur notre sol.
Tu en as déjà été témoin, après le décès d’Honnoré, puis celui de ton
aîné Jean-Baptiste qui a précédé de peu le tien, la situation du ver à
soie au Canet a périclité. Dans la première moitié du siècle suivant, la
quasi totalité des exploitations de vers à soie a progressivement
disparu.
Ainsi ce progrès qui nous apporte tant de possibilités s’est fait payer
par la disparition de très nombreux emplois d’ouvriers et de paysans,
votre existence était déjà dure, mais vos enfants ont quant à eux été
privés de ce travail intense et pénible qui vous permettait toutefois de
survivre.
La plaine des
Maures est défigurée
Autre chose encore plus pénible que je ne peux te passer sous silence,
chère Maxime. Votre environnement a été tellement défiguré que vous n’en
reconnaîtriez pas la moindre parcelle. Le développement des activités
autres qu’agricoles a mangé la plaine des Maures où vous viviez. Les
services communaux y ont été installés. Le point positif est que le
village ancien délaissé est resté dans son état d’origine. Je peux te
dire pour y avoir été récemment qu’il est de toute beauté, serré autour
de la chapelle Saint Michel, sur son promontoire.
Par contre la plaine se couvre de bâtisses sans originalité, quand elles
ne sont pas hideuses. il y a quatre fois plus d’habitants que lorsque
vous y viviez, détruisant l’environnement naturel avec vos mûriers
bordant les chemins et les ruisseaux. A la place, des constructions et
de l’une à l’autre, non des chemins, mais des rues, voies recouvertes
d’une substance dure et étanche.
Au 20ème siècle, la commune qui est à mi chemin entre les villes de Aix,
Marseille et celle de Nice, est traversée chaque heure par des milliers
de personnes, et cela jour et nuit. Chaque citoyen dispose en effet
maintenant d’un véhicule sans traction animale, les calèches et
diligences ont été équipées, comme les locomotives, de systèmes
produisant l’énergie pour rouler. Des millions de ces voitures circulent
à des vitesses très élevées et de façon bruyante en traversant le
Cannet.
Un progrès social que tu aurais beaucoup apprécié a permis aux
travailleurs d’avoir des vacances payées comme les jours de travail. Les
citadins en profitent alors pour partir de chez eux; aller au bord de la
Méditerranée est la plus enviée des destinations. Ainsi pendant des
dizaines d’années les habitants du Cannet, tes descendants, ont vu
défiler de façon désordonnée tous ces vacanciers qui, trop nombreux,
restaient bloqués dans le centre du village pendant de longs moments. On
appelait çà un "bouchon", le luc, Le cannet, Vidauban sont devenus
célèbres avc un tel qualificatif!
Le pire pour les Cannetois restait à venir. Comme partout en France
l’augmentation de la population entraina celle du trafic de véhicules
personnels qui allaient aussi de plus en plus vite. On a construit de
très grandes routes fermées par des barrières tout au long du parcours,
on ne peut donc pas les traverser. Elles passent en général à l’écart
des villages, mais cela n’a pas été le cas au Cannet : deux autoroutes,
celle de Marseille-Aix à Nice et celle de Toulon à Nice se rejoignent en
plein centre de la commune, coupant celle-ci en plusieurs secteurs
étanches. Des bastides voisines ne peuvent plus communiquer entre elles
sans parcourir plusieurs kilomètres.
C’est un peu comme des rivières que l’on ne peut traverser que par des
ponts très espacés. Le centre du Cannet est ainsi enserré par ces
serpents bruyants qui défigurent le paysage. j'ai voulu savoir si ta
maison avait subi ces atteintes.
Qu'est devenue la
bastide de la Trinité
Après bien des péripéties dont je vais te conter une partie plus loin,
j'ai pu retrouver le lieu où tu as vécu avec ta famille pendant les
trente dernières années de ton existence. Le terrain de la Trinité a une
forme de triangle pointe en haut, il est bordé sur deux côtés par le
chemin Moulinier et la route d'Italie au sud. Peu de temps après que tu
aies quitté ce monde une très grande voie de chemin de fer, qui relie
Paris à Nice et l'Italie a été construite en passant très près de la
route d'Italie. de nombreux trains entraînés par ces locomotives à
vapeur dont nous avons parlé, ont circulé bruyamment devant votre
bastide.
Quelques dizaines d’années après, au début du 20ème siècle, l'automobile
est apparue, elle va de partout et chaque citoyen peut en avoir une. On
a donc construit une très importante voie allant de Paris à Nice qui a
traversé le centre du nouveau Cannet, elle est connue dans la France
entière sous le nom de Nationale 7. Elle passe aussi à proximité de la
Trinité, en-dessous de la voie de chemin de fer.
La route d'Italie a
perdu toute son importance lors de la construction de la nationale 7 qui
l'a même "mangée" un peu après votre maison. Sur le
plan cadastral que tu as pu connaître, car il existait déjà, il date de
l'époque napoléonienne, on a donc rajouté en rouge, un peu après les
années 1900, le tracé de ces deux grandes voies rail et route, qui
créent un trafic et un bruit énormes. Le chemin de Brignoles à
Saint-Tropez au sud a pratiquement disparu, servant uniquement pour les
riverains.
Comme tu peux le voir, ces deux très grands moyens de communication
étaient à moins de deux cents mètres de ta maison. Heureusement tu n'as
pas eu à les subir et j'espère que ta famille repose en paix en un lieu
plus calme. car depuis ce qui a été enregistré sur le cadastre il y a eu
les fameux autoroutes que je t'ai présentés.
Cette fois-ci (nous sommes
à la fin du 20ème siècle) ces moyens fabuleux permettant de se rendre
n'importe où dans le monde en restant assis sur sa chaise, nous montrent
ce qui est advenu de l'environnement de ta maison. L'autoroute A8 passe en effet
entre les deux autres voies. Ce sont donc trois voies internationales de grand trafic qui passent devant ta maison!
Essayons donc maintenant de dérouler
le fil de ton existence.
Un parrainage
prestigieux pour Maxime
Tu étais le premier enfant d’André et Rossoline Gibelin et je t’ai donc
découvert en premier,
pour ta naissance en 1774 un peu plus d’une année après
le mariage de tes parents. J’ai relaté, dans la partie de l'histoire des
Gibelin qui est consacrée à ton père, combien cet acte m’avait intrigué,
intéressé et même amusé par l’apparente munificence de ta marraine.
Pour ton parrain, le choix du curé du Cannet était déjà une bonne
pioche, comme le disent les joueurs de cartes. Celui qui n’a jamais
signé autrement que sous l’appellation de Giraud curé était l’auteur de
tous les actes de la paroisse du Canet, baptêmes, bénédictions nuptiales
et sépultures, il procédait lui-même à leur enregistrement sur les
registres paroissiaux.
Il avait pris ses fonctions en mai 1771 en succédant à Julliany procuré;
je dois t’avouer que je ne sais pas ce que recouvre ce titre, est-ce un
super curé, nous dirions chanoine. Il s’arrêtera fin décembre 1781,
remplacé de suite par Malle vicaire. Cette fois je vois très bien ce que
c'est.
Il a ainsi procédé au mariage de tes parents puis baptisé les quatre
premiers enfants, à commencer par toi.
Obtenir que le curé de la paroisse accepte de parrainer leur premier
enfant était déjà pour tes parents un gage de reconnaissance de leur
situation au Canet. Lorsque j’ai évoqué la vie de ton père, j’ai
souligné tout ce que semblait avoir représenté pour notre Giraud curé
cette nomination de parrain, car elle s’accompagnait de celle d’une
marraine prestigieuse qui était la seigneuresse du Canet qui devenait
ainsi sa « commère » au sens propre du mot. Il en a été très fier et
cela se remarque dans la relation qu’il donne de ton baptême.
Mais je doute que tu aies reçu des attentions particulières, en dehors
de l’enseignement du catéchisme qu’il donnait à tous les enfants de la
commune. J’ai certaines raisons de penser que tu n’étais qu’une de ses
ouailles parmi les autres. Il avait répondu positivement à la requête de
ton père de te prendre pour filleule parce qu’il serait associé à la
marquise marraine. Tu as dû le ressentir plus tard lorsque tu t’es
rendue compte que tu n’avais bénéficié d’aucune faveur.
Ce parrainage était donc une bonne chose à la fois pour le curé et pour
tes parents, surtout ton père qui se voyait ainsi reconnu comme un
paroissien estimé par son pasteur, cela peut servir lorsque l’on
débarque en un pays où l’on n’est pas connu.
Tes parents ont fait encore plus fort avec le choix de la marraine. Ton
père était entré à son service comme domestique ; la marquise devait
l’apprécier et lui a fait cet honneur qui le faisait monter dans la
hiérarchie sociale du Cannet.
Il est vrai qu’il y avait un précédent, puisque son propre père, le
seigneur Pierre Louis de Rascas avait lui-même parrainé ta maman
Rosseline à sa naissance en 1746. C’est même ce qui vraisemblablement a
permis à ton père d’entrer à son service.
Je pense que cela t’intéressera d’en savoir plus sur cette famille
placée à la tête de votre petit territoire, car je me doute, et même je
suis sûr, que tu n’as pas été informée et ne sachant lire tu n’as pas pu
prendre connaissance des textes qui existaient alors.
Les seigneurs du
Canet, des Rascas à Colbert
Le castrum de Caneto avait été érigé en commune il y a un peu plus de
300 ans, en 1442 exactement. Au début de votre siècle, il y a donc peu
de temps, la maison de Rascas en est devenue l’unique propriétaire.
Quand ta mère est née en 1846 le parrain de ta mère messire de Rascas
est désigné comme étant le seigneur du lieu du Canet dans son acte de
baptême. Sa fille Françoise Elisabeth Maxime de Rascas qui deviendrait
ta marraine, a épousé quelques années plus tard un messire Michel de
Colbert, dont le petit titre de noblesse provenait de ce qu’il était
chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis. Ce titre de chevalier
provenait lui-même de ce qu’il avait accompli un acte militaire dont le
roi lui faisait reconnaissance. Quel acte, je ne le sais pas et tu n’as
certainement pas plus envie que moi de le savoir. Disons qu’il était
lieutenant des vaisseaux du roy, ce qui donne de bonnes occasions
d’accomplir des faits militaires.
La bonne affaire il l’a réalisée par ce mariage, car il allait prendre
ainsi le titre de marquis de Colbert seigneur du Canet.
Le mariage a été célébré en grandes pompes au Canet le
28 novembre 1754, lui avait 50 ans, elle 26. Il y avait là
tout le Gotha local (enfin presque !) venant de notre
Provence jusqu’à Toulon et Marseille. Je peux t’informer que la famille
de Colbert est toujours présente au Cannet au début du 21ème siècle.
J’ai (mal) connu une Gibelin, cousine germaine de ma mère, qui
fréquentait les descendants arborant fièrement le titre de « marquis »
mais tu sais que cela ne signifie plus grand-chose. Déjà à l’époque de
ton adolescence pendant laquelle est née la révolution, vous étiez tous
devenus des citoyens.
Après son mariage, la dénomination officielle de ta marraine, que l’on
peut lire sur ton acte de naissance, est haute et puissante Dame madame
Maxime Françoise Elisabeth de Rascas de Colbert marquise du Canet.
Cette façon de décrire les seigneurs du lieu nous fait aujourd’hui
sourire, avec son accumulation de qualificatifs pompeux, haute,
puissante, dame et madame répétées, mais elle était traditionnelle. Elle
n’est donc pas (seulement) une marque de flagornerie de la part du curé
Giraud.
Tu dois à ta marraine ton prénom, maxime (nous écrivons nos noms et
prénoms avec une première lettre en majuscule, cela n’a jamais été le
cas pour toi, je l’écris donc ainsi). Dans l’acte ce prénom figure en
tête des trois siens alors que lorsqu’elle s’est mariée il était en
dernière position. On lui avait attribué ce prénom masculin parce que
son propre parrain le portait, mais il avait été placé discrètement
derrière Françoise et Elisabeth. Cette inversion est sans nul doute une
initiative du curé Giraud, pour bien indiquer que tu dois ton prénom à
ta marraine prestigieuse. Et expliquer pour quelle raison tes parents
ont demandé de te baptiser ainsi d’un prénom en principe réservé aux
hommes. Une des énigmes de maxime est ainsi résolue.
Une autre a trait au deuxième prénom, Jeanne, qui ne se retrouve plus
dans aucun acte par la suite, je suppose que tu ne l’aimais guère et
n’en parlait pas, un petit trait de caractère qui te va bien. Je n’ai
pas rencontré d’autres enfants à qui on ait donné ce prénom dans ta
région au cours du siècle que tu as traversé. J’en déduis, non pas
hâtivement, mais après mûre réflexion, qu’il s’agissait de rendre
hommage à ton parrain qui ne signe jamais autrement que curé Giraud,
parce qu’il n’était pas coutume pour les prêtres d’afficher leur prénom.
Mais je suis prêt à parier qu’il se prénommait Jean Baptiste ou Jean
Joseph ou Jean Machin.
Tu étais ainsi très bien parrainée, sur le papier au moins, mais fort
mal prénommée, il est clair que ceci t’a marqué toute ta vie.
Les seigneurs dispensaient assez largement leur parrainage, ta mère et
plusieurs de tes frères et sœur en témoignent. Cela suffisait en général
aux parents qui se voyaient ainsi honorés. Au moment de ta naissance ta
marraine avait 56 ans si mes calculs sont exacts, et son époux plus de
80 ans, autant dire qu’il n’était plus de ce monde et qu’elle devait
porter seule le titre de seigneur du Canet. Il me semble clair aussi que
dans ces conditions ta marraine n’ait pu t’accorder plus d’attention
personnelle que ton parrain.
Vous aviez en commun, ta mère et toi, d’être filleules de la famille de
Rascas de Colbert.
J’ai su par la suite que vous auriez un autre point commun qu'elle a
ignoré : elle s’appelait Camail de son nom de jeune fille, tu as pris le
nom de Camail en épousant Honnoré. Il y a d’autres points d’affinité
entre vous deux, je les ressens maintenant que tu m’es devenue proche.
Et cela a été un drame pour toi encore plus que pour les autres membres
de la famille, lorsqu’elle vous a quitté en 1784, après la naissance
d’Eléonore, ta seule sœur, elle n’avait que 38 ans, et toi 10.
C'est dur d'être
une fille aînée d'une famille pauvre
En as-tu voulu à ton père de se remarier si tôt, à peine quelques mois
après son décès ? Mais cinq enfants en bas âge, la dernière marchant à
peine, c’était impossible pour André qui avait entrepris des activités
de négociant qui l’absorbaient entièrement.
Et toi non seulement tu étais l’aînée, mais tu étais une fille. En votre
temps où les enfants étaient amenés à travailler dès leur plus jeune
âge, au minimum à aider leurs parents dans les rudes tâches ménagères et
agricoles, tu as dû plus souvent qu’à ton tour être obligée de devenir
une mère d’appoint pour tes petits frères et sœurs.
Je l’ai très clairement perçu lorsque j’ai revu ton nom pour la deuxième
fois sur un registre paroissial, un des derniers qui ont existé car vous
étiez en 1788 et la révolution grondait. Ce fut à l’occasion du baptême
de ton plus jeune frère Louis André Lazare, dernier des sept enfants.
Après son remariage, ton père avait d’abord suivi la tradition avec sa
nouvelle épouse en donnant à leur premier garçon un parrain et une
marraine de bonne naissance. Ce faisant ton frère a été affublé du
prénom de sa marraine, et Madeleine pour un garçon, ce n’était pas
terrible.
Ton père a alors décidé de rompre avec la tradition. Pour son septième
et dernier enfant il décide prendre pour parrain et marraine des enfants
de votre fratrie. Il a donc puisé dans la réserve de parrains potentiels
qu’il venait de constituer depuis près de 15 ans. C’est une pratique qui
allait d’ailleurs devenir monnaie courante dans les grandes familles,
j’en parle en connaissance de cause.
Ce faisant, il veut marquer le fait qu’il n’est plus à la remorque des
seigneurs et notables locaux et montrer que sa famille est capable de
trouver en elle-même des protecteurs pour les plus jeunes. Cette
décision de ton père a été pour lui un acte fort, cela a été en quelque
sorte sa Révolution à lui, un peu avant que se déclenche l’année
suivante à la Bastille l’embrasement de tout un pays.
De toute manière tous les parrains et marraines choisis précédemment,
qui pouvaient vous aider (mais l’ont-ils fait ?) en seront bientôt
incapables, privés qu’ils seront de leurs titres et de leurs privilèges.
Tu as pu suivre leurs pérégrinations lors de la chute de la Royauté.
Donc honneur à l’aînée pour marraine, au cadet pour
parrain. Et nul doute que vous ayez ressenti l’un et l’autre une grande
fierté de vous voir propulser ainsi au rang qu’occupaient pour
vous-mêmes des personnages prestigieux. Avec ton amour pour les enfants
dont j’aurai la révélation plus tard, ton filleul et petit frère Louis
André Lazare, qui t’a été très proche, a bénéficié des tendresses que tu
n’avais pas eues d’une marraine haute et puissante mais quelque peu
distante.
Un fait m’a frappé dans
l’acte de baptême, toujours rédigé par le curé Giraud
mais que tu n'as pas pu lire; il a été le second déclenchement de
l’empathie que j’ai pour toi. Tu peux prendre connaissance de sa copie
maintenant que tu peux lire tout ce que je t’écris. Moi, j’ai eu un
serrement de cœur en lisant les dernières lignes, c’est à la fois très
lisible et très compréhensible :
le parrain a été Louis son frère et
la marraine maxime sa sœur illitérée, le père présent a signé avec le
parrain.
Figurent alors la signature encore très hésitante et appliquée de ton
père et un Louis Gibelin manifestement de la main du curé car c’est une
copie conforme du nom qu’il a déjà été écrit quelques lignes auparavant,
avec notamment trois points sur le i (cette fantaisie du pasteur avait
certainement une signification pour lui). Peu importe que ton frère
n’ait pas osé signer lui-même au moment de passer à l’acte. Le curé
chargé de l’enseignement était bien placé pour connaître votre degré
d’instruction, il affirme qu’il
sait signer alors qu’il écrit de
manière aussi péremptoire que tu ne le peux, parce que tu es
illitérée.
Comme l’on dit il y a eu deux poids et deux mesures.
On pouvait se réjouir que le petit Louis, à 12 ans, ne soit plus
illettré. Il ne s’arrêtera pas là puisqu’il deviendra aussi maire et
aura un rôle important à jouer dans la commune. Mais à contrario, ton
absence m’a paru très cruelle. Tu as 14 ans, deux ans de plus que lui,
mais tu es restée « illitérée » et j’ai découvert plus tard que tu le
serais toute ta vie. On avait appris à lire et à écrire à Louis alors
que toi, presque adolescente, n’avait manifestement pas fait l’objet
d’une telle attention de la part de ton parrain le curé Giraud.
Les filles n’ont pas besoin de faire des études, cela ne sert à rien
pour avoir des enfants, tenir la maison et travailler dans les champs.
Tu l’as certainement entendue, cette rengaine typiquement masculine,
cette injustice, tu l’as tristement subie comme des millions de femmes
avant et après toi. Heureusement, je peux t’informer que de grands
progrès ont été accomplis depuis une centaine d’années, il y a
maintenant en France autant (enfin presque !) de chances de réussir dans
la société pour les femmes que pour les hommes.
En attendant il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’a été ton
adolescence emplie de tâches ménagères et extérieures, comme le travail
de magnanarelle que j’ai déjà évoqué. Tout ceci pendant une période des
plus terribles que notre pays a vécues, car tu avais 15 ans au début de
la révolution. Quoique la période qui a suivi n'ait pas été d’une grande
opulence économique avec les guerres napoléoniennes. Lorsque le « grand
homme » qui les avait causées a traversé la commune du Cannet pour se
rendre à l’île d’Elbe ce ne fut certainement pas un parcours triomphal.
A la recherche de
maxime
Après avoir fait ta connaissance par les actes de naissance du premier
et du dernier enfant d’André à quatorze ans d’intervalle, j’ai perdu ta
trace pendant de nombreuses années avant de pouvoir renouer le fil de
ton existence.
Vous entriez alors dans la période révolutionnaire. Les écrits relatant
naissances, mariages et décès s’appelaient maintenant des actes d’état
civil, ils étaient rédigés par un employé désigné par le conseil
communal. Plus de « parroisse » comme on l’écrivait alors, le Canet
était devenu une commune, les actes ne relataient plus ni baptême, ni
bénédiction nuptiale, ni sépulture.
Autre différence, on rédigeait trois registres d’état civil séparés pour
chacun des trois actes alors qu’auparavant tous les évènements se
suivaient au fur et à mesure qu’ils survenaient. La difficulté, que
seules des tables de correspondance permettent de lever, est de savoir à
quoi correspondaient les dates exprimées dans le langage fleuri des
penseurs révolutionnaires.
Ainsi, trouver ton nom sur les registres des décennies suivantes a été
une quête longtemps infructueuse. Je vous ai donc cherché, les sept
enfants Gibelin, dans tout ce qui existait au Cannet à partir de 1795,
âge présumé auquel vous devriez tous fonder une famille.
Tes frères en se mariant gardaient leur nom Gibelin, et tous leurs
enfants en étaient dotés. Si je manquais ton mariage, je ne connaîtrai
pas ton nouveau nom ni celui de tes enfants, et ne pourrai vous
apercevoir sur les registres, c’est ce qui est arrivé.
Mais en partant dans la recherche des mariages des enfants Gibelin, j’ai
commis l’erreur de débuter en 1795 qui me paraissait être la date à
partir de laquelle les premiers pouvaient convoler. J’ai bien trouvé
trace des mariages de tes frères, des naissances de leurs enfants et
malheureusement du décès de plusieurs d’entre eux.
Une pièce
miraculeuse est jointe à un acte de mariage
Je me désespérais d’apprendre ce que tu étais devenue, jusqu'au jour où
ton nom est apparu en 1824 sur un
acte de mariage d’une Justine Camail présentée comme ta
fille. L’acte indiquait qu’elle était née 24 années plus tôt à Vidauban,
par chance une
copie de l’acte de naissance figurait dans le registre à
la suite de l’acte. Je dis une chance car lorsque j’ai voulu voir l’acte
original dans les registres de Vidauban il n’existait pas. J’ai fouillé
sans résultat dans les alentours de la date annoncée, émis toutes sortes
hypothèses pour les réfuter ensuite, j’en suis arrivé à douter de la
véracité de la copie. Elle avait été établie par le maire de Vidauban, à
la demande du maire du Cannet, ce qui est une obligation lorsque l’un
des futurs époux n’est pas né dans la commune du mariage.
le mariage de justine jeunie camail, fille de maxime "preuve" de naissance de justine envoyée de Vidauban
En 1824 donc, le maire de Vidauban appelé superbement Alphonse Balthazar
Codde a retranscrit de sa plus belle plume ce qu’avait couché sur un
registre communal, 24 années auparavant, l’agent municipal chargé de
rédiger tous les actes en vertu de la loi du dix neuf vendémiaire an
quatre. Il s’appelait Alexandre Sermet et tu l’as bien connu car j’ai pu
voir par la suite qu’il t’avait citée plusieurs fois. Mais pour cette
fois-ci, pas moyen de retrouver sa prose. Le 18 pluviôse an 4 assez
raturé d’Alphonse Balthazar était absent du registre où, sur une double
page, figurait un mariage le 10 pluviôse, puis un baptême le 12 à cheval
sur les deux pages, puis deux autres baptêmes les 8 et 18 ventôse, donc
le mois suivant.
J’ai toujours pensé que ce calendrier décalé, avec des noms inventés
d’après les évènements naturels, avait été un casse-tête pour tous les
habitants de ce pays, paroissiens placés sous la protection de la Sainte
Mère l’Eglise devenus de simples citoyens de la République. Il était
donc tout à fait possible que, suivant une expression actuelle mais dont
tu peux certainement saisir le sens, on puisse à un moment ou un autre
se mélanger les pinceaux. Je me suis donc égaré moi-même quelque peu
jusqu’à ce que l’explication apparaisse évidente.
En regardant attentivement, il y avait une différence d’écriture du
baptême
chevauchant
les deux pages. Ce n’était pas le même, les deux pages
côte à côte ne se suivaient donc pas dans le registre original de
Vidauban. Je dois te dire que les pages de tous vos registres sont
représentées deux par deux, mais comme elles ne portent pas de numéro,
il est possible que la personne ait sauté ou perdu certaines. Ma
confiance absolue en la véracité des représentations de vos registres
s’ébranla alors, la suite me conforta dans ma prudence.
En attendant, cette déduction m’a permis d’authentifier la copie trouvée
au Canet 24 ans plus tard. J’avais de toute façon écarté toute idée de
manipulation ou de faux document, car le nouveau maire de Vidauban ne te
connaissait pas, il aurait été incapable d’inventer ce que l’on peut
lire dans cet acte de naissance que je trouve fort intéressant. La
personne qui a déclaré l’enfant femelle est Honnoré Camail, ce devrait
donc être le père mais Alexandre Sermet ne précise pas que tu en es
l’épouse comme l’exige la formule.
Ensuite, qu’il était assisté d’un nommé Edouard Gibelin âgé de 15 ans.
Ceci me prouva plusieurs choses, que tu vivais à Vidauban en 1800,
qu'Honnoré Camail était vraisemblablement le père de ta fille, qu'il
pouvait donc être ton compagnon ou ton époux. Autre constatation qui
confirme ce que je supposais dans tes relations avec ta famille. Tu as
demandé à ton jeune frère Edouard, celui à qui, comme à toi, on avait
donné le prénom de sa marraine, en l’occurrence Madeleine, de venir
témoigner pour la déclaration de ta petite fille. Je découvre à
l’occasion que l’on pouvait témoigner (le terme utilisé pour les
naissances et décès était d’assister le déclarant) en étant mineur.
Édouard est donc venu à Vidauban à ta demande. Ce qui m’a étonné est que
ce soit ce gamin que tu aies requis.
La commune est voisine du Cannet, et je sais que la famille Gibelin
habitait et travaillait tout près de la « frontière », tu allais donc,
gamine, jouer (rarement) ou travailler (plus souvent) sur des terres de
Vidauban, sans même peut-être le savoir. Une petite demi heure suffisait
donc à ton jeune frère pour venir assister le père pour la déclaration
de ta petite fille, là n’est pas le problème pour un jeune garçon
vigoureux.
J’ai des raisons de penser qu’il t’était plus proche que tes autres
frères, un premier point commun est que vous avez été tous deux affublés
du prénom de votre marraine et en avez souffert. Passe encore pour le
tien, mais celui de ton frère, Madeleine, était impossible à porter pour
un garçon, il était donc devenu Edouard.
Très bien donc pour sa venue en ce 18 pluviôse (nom de mois certainement
mal choisi pour votre région). Mais qu’il soit venu seul est beaucoup
plus étonnant. Absent ton père, alors notable au Cannet, absents tes
frères puinés qui commençaient à être aussi bien connus. J’avais là un
témoignage de ce qu’avait pu être tes relations ou plutôt le manque de
relations avec eux, confortant l’intuition que j’avais eue que tu aies
coupé les ponts depuis un certain temps.
En attendant, je venais de franchir un grand pas dans ma quête
d’informations sur la vie de maxime. Tu n’y es évidemment pour rien mais
force est de constater tout au long de ce récit, que tout se présente
comme si quelqu’un avait systématiquement mis des embûches sur le chemin
de ceux qui s’intéressent à toi.
Les mauvais esprits qui ont voulu barrer l’accès à Vidauban ont été
contrés par un bon génie au Cannet. J’adresse un grand merci à
Jean-Baptiste Audrac maire du Canet qui a eu la bonne idée d’inclure
dans son registre, à la suite de l’acte de mariage de ta fille, la copie
de celui de sa naissance. Il pallie aux insuffisances de ses collègues
de Vidauban à qui j’adresserai mes remontrances, car je les tiens pour
responsables de nombreuses malformations qui ont entaché nombre d’actes
te concernant lorsque tu as vécu dans cette commune.
Début de la remontée
aux sources des époux Camail
Il me restait donc, muni de ces renseignements, à remonter le fil du
temps à Vidauban à partir de 1800, an VIII de la République pour savoir
comment tu en étais arrivée à cette naissance.
Les dossiers établis par les nouveaux rédacteurs de l’ère
révolutionnaire sont en très mauvais état et d’un formalisme rendant la
lecture difficile. Heureusement il y eut 40 années plus tard des
recensements de population qui m’ont livré le nom de certains de tes
enfants dont la naissance avait échappé à ma vigilance. J’ai donc pu
compléter la liste des naissances après coup, en découvrant
régulièrement de nouvelles.
je me rendis vite compte que Justine, née en 1800 alors que tu avais 25
ans, était loin d'être le premier enfant. Je suis en mesure de citer ses
aînés, j’espère de façon exhaustive.
En 1798 ce fut un garçon, Jean
Baptiste Honnoré que l'on ne retrouvera que 38 ans plus
tard, au premier recensement de la population car il est toujours resté
dans ta maison sans se marier. Il vivra avec toi jusqu'à son décès à
l'âge de 54ans.
5 novembre 1798 naissance à Vidauban de Jean-Baptiste Honnoré Camail.
Fac similé reproduit ci-contre, l'acte étant coupé sur deux pages de registre difficilement lisibles - traduction :
Ce jourd'hui quinze brumaire de l'an sixième de la république française par devant moy Alexandre Sermet agent municipal de cette commune de Vidauban chargé par la loy de rédiger les actes de naissances mariages et décès est comparu à la maison commune le citoyen Honnoré camail ménager âgé de trente ans de cette commune assisté des citoyens Jean Joseph Bernard Perrimond officier de santé âgé de quarante deux ans et de Antoine Camail ménager âgé de septante ans tous de cette commune lequel mon déclaré à moy Alexandre Sermet agent municipal que la citoyenne maxime gibelin pour épouse en légitime mariage âgée de vingt trois ans est accouchée d'un enfant male le quatorze du courant sur les neuf heures du soir. lequel luy a donné le prénom Jean Baptiste Honnoré. D'après cette déclaration et de la représentation qui ma été faitte de l'enfant male ... j'ay rédigé le présent acte en vertu des pouvoirs qui mon été délégués que je signe avec le citoyen témoin et le père a déclaré ne savoir de ce enquis. fait à Vidauban les mois et jour que dessus dans la maison commune
signé : Sermet Perrimond
Le mystère
des deux jumelles
Puis, en remontant le temps, en date du 28 juillet 1796, acte
de décès d’une petite fille marie d’hophine (sic) âgée de
huit jours fille de Honnoré Camail et de marie maxime gibelin.
Il ne
faut pas perdre de vue que l’enregistrement des décès est fait en mairie
sur la déclaration de personnes étrangères à la famille, donc jamais par
les parents directs. Cela laisse libre cours à de nombreuses erreurs,
imprécisions ou approximations. En l’occurrence, le prénom marie qui est
celui de la petite fille, a été rajouté à ton prénom maxime ; le nom de
Camail pourtant très courant à Vidauban, est maltraité. Quant au
deuxième prénom de la petite fille décédée il a posé problème au
greffier d’Alexandre Sermet qui en a donné
sa transcription
phonétique.
Avançons (ou plutôt reculons) des huit jours indiqués comme
âge du bébé mort dans un autre registre, celui des naissances, jusqu’au
20 juillet qui doit annoncer la naissance de la petite fille.
Voilà cet acte, et là nouvelle surprise, ce n’est pas une
mais deux petites filles qui sont nées ce jour là.
Celle qui ne devait
pas vivre plus d’une semaine est orthographiée en première main marie
d’honotine (resic), la deuxième est nommée apolienne (sans garantie de
ma part) maxime. Ce qui fait déjà beaucoup de marie et de maxime pour
s’y retrouver. Au point que le greffier qui a dressé la
table
annuelle des décès de l’an IV a littéralement,
passez-moi l’expression vulgaire, perdu les pédales. Le 3 thermidor il
note deux noms, Camail marie dhiroettes (littéralement) et camail
d’halphine (reresic) maxime. La malheureuse petite Marie que je
prénommerai aussi Dauphine ayant très vite quitté ce monde, personne ne
se préoccupera par la suite de savoir ce qu’était réellement son
deuxième prénom. Malgré ces incertitudes de mauvaise écriture, l’acte
nous apprend des choses très intéressantes sur toi. D’abord un trait de
ton caractère, car ces prénoms, tu en es l’auteure.
Chacune
des deux jumelles porte deux noms, l’un est classique et un peu obligé,
l’autre est une touche de ta fantaisie qui a été très mal perçue par nos
greffiers républicains écrivant ces prénoms insolites de la façon qu’ils
croient les avoir entendus. Mais le plus important est qu’Honnoré ait
déclaré que l’accouchée était maxime gibelin pour épouse en légitime
mariage. Bon cette fois votre couple était bien légitime.
La remontée dans les archives poussiéreuses de Vidauban nous fait
d’abord relever un de ces petits faits auxquels j’attache une certaine
importance. Il s’agit de
l’acte
de naissance en janvier de la même année, de l’enfant
d’un couple habitant à proximité, pour lequel tu as « assisté » le père
dans sa déclaration, avec un des nombreux Camail de Vidauban, Joseph.
Par ce geste simple on peut voir que tu étais intégrée dans la commune
de Vidauban où vous résidiez, Honnoré et toi.
L’année précédente, un événement autrement plus important, le 3 février,
c’est la naissance
d’une fille Marguerite maxime (aussi!) fille d’Honnoré et
de maxime gibelin.
Me voici en mesure de t’attribuer quatre filles et un
garçon nés entre 1795 et 1800. Je peux supposer que celle-ci était la
première, tu avais en effet 21 ans.
Il me restait à savoir quand tu
étais mariée, je ne devais plus en être loin, car la transcription de son acte de naissance
par Joseph Codde maire de Vidauban aperçue pour le mariage de ta fille Justine en 1824 assure que
tu étais la légitime épouse d’Honnoré.
Pas de précipitation, mais le
lutin qui s’acharne à me mettre des bâtons dans les roues quand je veux
t’atteindre, a encore placé une énigme que j’ai trouvée longtemps
insoluble.
Honnoré était-il
bigame ?
Le 25 septembre da l’année précédente, soit environ quatre mois avant
ton accouchement, un décès nous a été annoncé, celui du petit Marius
Camail, âgé de onze mois, fils d’Honnoré Camail ménager et de Marguerite
Coudroyer. Qu’es aco ? en provençal ou en français, je n’y comprends
plus rien, je devais essayer d’aller plus loin. Au simple vu de cet acte
il se pouvait qu’Honnoré ait eu un enfant qui était décédé peu avant
votre mariage.
Mais d’autres actes citaient d’autres enfants d’Honnoré.
Quand il s'agissaait d'un acte de décès, ce pouvait être une
approximation des déclarants qui connaissaient Honnoré mais pas son
épouse et lui attribuaient un autre nom que le tien. Je savais que dans
ce cas là personne n’irait demander la rectification.
Sur d'autres actes, de naissance ceux-là, les acteurs étaient toujours
les mêmes personnes. Comme il n’était pas indiqué que l’accouchée était
l’épouse du père déclarant, cela restait encore possible si celui-ci
menait double vie, en reconnaissant les enfants qu’il semait en dehors
de son foyer légitime. J’ai redouté de te voir ainsi dans une situation
invivable avec un tel mari !
Mais là où j’ai commencé à trouver qu’il allait vraiment loin, c’est
lorsque des actes ont précisé que Marguerite Coudroyer était l’épouse en
légitime mariage d’Honnoré, alors que je n’ai pu trouver trace de leur
mariage. Cependant, la mention d’un témoin nommé Coudroyer se présentant
comme oncle du bébé m’a convaincu que Marguerite n’était pas un fantôme,
qu’elle avait sa propre famille et son propre foyer. La seule solution
qui s’est alors imposée, que je n’avais pas retenu jusqu’alors tellement
elle me paraissait improbable, était bien qu’il y avait à Vidauban un
deuxième Honnoré Camail ménager qui menait la même activité
professionnelle et familiale que le tien (quant à la production de
descendants au moins).
J’ai croisé d’autres Honnoré Camail par la suite, un plus âgé au
Thoronet, un troisième très contemporain à Vidauban mais dont l’activité
ne prêtait pas confusion avec celle des deux autres.
On prend enfin
connaissance du mariage de maxime Gibelin
Je me rapproche de savoir dans quelles circonstances tu es devenue
madame Camail. Pas de trace de mariage à Vidauban, mais en me rendant
compte que tu avais eu un enfant encore très jeune (tu étais à peine
majeure à sa naissance), tu t’étais mariée mineure, tu n’avais donc pas
pu te sauver pour convoler en une autre commune. Il te fallait l’accord
de ton père et de plus il n’était pas dans les us pour une fille de se
marier en dehors de sa commune de naissance.
J’aurais du y penser plus tôt, mon erreur a été de ne chercher au Cannet
qu’à partir de la majorité de l’aînée. Ton
acte de mariage, sur deux pleines pages, s’étale
effectivement dans les registres de la commune le 11 pluviôse an 2,
pardon le 26 février 1994, tu avais moins de 20 ans, la belle signature
de ton père figure au bas de l’acte.
Moi qui ai, en fréquentant de
nombreux actes administratifs, acquis une sorte de don pour déceler au
travers de nombre d’entre eux tous les non-dits sur la situation et les
relations de ses différents protagonistes, je ressens un certain malaise
en parcourant ce compte-rendu de l’union du premier enfant d’André et
Rossoline Gibelin.
Bien sûr ton père a signé, il ne pouvait pas s’y soustraire, d’autant
plus qu’il est mentionné que les deux époux ne savaient le faire ni l’un
ni l’autre, mais il n'est pas mentionné dans le document.
Pourtant, puisque tu étais mineure, l’officier d’état civil aurait dû
faire état de son approbation, dans les préalables obligatoires. Il
mentionne seulement deux choses, d’une part que la publication des bans
n’a pas donné lieu à opposition. D’autre part que l’acte
de naissance d’Honnoré et le tien montrent que vous êtes
« nés l’un et l’autre de légitime mariage »
- mais soit dit en passant,
si tel n’avait pas été le cas je ne vois pas pourquoi cela aurait été un
frein à votre union. Bref, pas de mention de l’accord de ta tutelle,
c’est-à-dire tes parents, qu’André au minimum a obligatoirement donné.
Je me demande alors s’il n’est pas intervenu auprès de cet officier
d’état civil qu’il connaissait bien, pour ne pas être cité, fait tout à
fait insolite, l'accord des parents figure dans les actes même pour des
époux majeurs. J’ai même pu voir près de quarante années plus tard, lors
du mariage de l’un de tes enfants, l’acte mentionner explicitement
l’accord des parents de l’époux alors que celui-ci avait près de
cinquante ans!
Pour moi, c’est clair, l’accord de ton père a été donné du bout des
lèvres, avec peu d’enthousiasme, c’est le moins que l’on puisse dire.
Pour achever de te donner mon sentiment sur ton mariage au vu de l’acte
officiel, j’ai trouvé que la production des témoins était bien formelle
et comment dire manquait de chaleur. Il y avait deux citoyens amis des
mariés, l’un de Lorgues, l’autre maître tailleur au Luc. Les deux autres
témoins, du Cannet, sont l’un allié l’autre oncle second de la future,
donc de toi. En fait, ils font partie de la famille de ta belle-mère
Marie Barbaroux. Donc pas moyen de trouver trace d’un des Gibelin
pourtant si prompts à servir de témoins pour des tiers connus ou
inconnus. Dès la cérémonie terminée (si cérémonie il y a eut) retour
dans vos terres partagées entre Vidauban et Thoronet où vous allez
prospérez au moins en progéniture si ce n’est en situation matérielle.
maxime jeune mariée
du Thoronet
Les parents d’Honnoré étaient de condition modeste (mais les Gibelin ne
l’étaient-ils pas ?) étant simples travailleurs ménagers résidant au
Thoronet. Vous avez habité quelques années dans cette commune, qui elle
aussi jouxte à la fois le Cannet et Vidauban, plus exactement en un site
du Thoronet qui dépend administrativement de cette dernière. Rien à voir
avec le site de l’abbaye, l’une des trois sœurs de Provence et merveille
de l’art cistercien, que des aventuriers moines disciples de Saint
Bernard avaient bâti plus de six cents ans auparavant en un site
sauvage.
Je ne suis pas certain que tu l’aies connue, les splendeurs de l’art
roman étaient loin des préoccupations de l’époque et encore plus des
travailleurs de la terre.
Naissance des
enfants de maxime, dans le bon ordre cette fois.
Après avoir à rebours fait connaissance de tes cinq premiers enfants,
reprenons un cours plus normal des évènements et peut-être des
naissances qui pourraient suivre celle de Justine en 1800. On n’a pas à
attendre longtemps. Dix huit mois à peine après celle-ci, c’est à une
nouvelle fille
Magdeleine (un prénom lui a suffi) à qui tu donnes le
jour le 22 octobre 1801. Nouvelle (petite) énigme : pourquoi ce très
long écart de près de deux mois entre la naissance (30 vendémiaire) et
l’acte du maire Joseph Sermet, officier d’état civil (24 frimaire)?
Depuis ton mariage il y a sept ans, six enfants sont nés, l’une des
jumelles est décédée de suite, vous avez donc cinq petites filles et un
garçon à la maison si les registres de Vidauban sont fiables (mais je
commence à en douter). N'ayant pas trouvé trace des premières nées
Marguerite Maxime l’aînée et l’autre jumelle Apolienne Maxime, aucun
décès ne les mentionnant, elles ont du grandir normalement. La mortalité
infantile était terrible dans ces années-là.
Après Magdeleine, ce sera
Marie
Eléonor , née le 25 mars 1804 qui viendra babiller dans
la petite bastide de Ramatuelle que vous habitiez au Thoronet. Un des
témoins (et peut-être marraine mais ce mot ne figure plus sur les
registres d’état civil) porte exactement les mêmes prénoms que ce
nouveau bébé. Il s’agit de ta jeune (et unique) sœur dont les traces
sont aussi difficiles à retrouver car son nom disparaît au mariage. Elle
a près de 21 ans et donc bientôt majeure.
Puis dès l’année suivante, le 5 décembre, une autre petite Camail,
Marie-Sophie.
Il faut attendre (!) près de 3 ans avant de voir apparaître un nouveau
bébé, le deuxième garçon, né le 8 novembre 1808,
André
Honoré (avec un seul n, comme on l’écrit de nos jours).
Puis
Anne
Roseline apparaît le 25 février 1811.
L’enfant suivant est seulement mentionné, sans nom,
dans un seul acte, malheureusement de décès, daté du 21
janvier 1814, avec la formule « mort en naissant », il n’aura donc pas
de nom.
Une
autre fille Marie Emilie arrive le 30 juin 1815.
Un
autre fils venait au monde le 12 août 1818. Avec l’aide de
Marie Anne Beranguiere qui exerçait la profession d’accoucheuse, ce
garçon est né dans votre petite bastide Ramatuelle du Thoronet. Alphonse
Balthazar Codde (je ne résiste pas au plaisir de réécrire son nom, c’st
lui qui transcrira en 1824 la pièce qui m’a fait remonter à toi) précise
comme à chaque naissance que Ramatuelle du territoire du Thoronet est
enclavée dans celui de Vidauban. Vous aviez deux témoins qui renseignent
sur le tissu de vos relations personnelles dans la commune de Vidauban.
L’un était l’instituteur Joseph Leothaud dont la signature est royale,
l'autre Alexandre Sermet notaire royal, probablement frère d’Alexandre
qui avait signé nombre de vos actes comme maire.
Il ne s'est malheureusement écoulé que peu de temps avant de lire son
acte
de décès à la date du 20 avril 1820, il avait alors un
peu plus de dix huit mois. C’est semble-t-il le dernier enfant dont tu
aies accouché, mais j’ai appris à ne plus être affirmatif quand
j’annonce ce que je sais. Une certitude, Louis étant né à Vidauban et
mort au Canet, vous aviez quitté la bastide de Ramatuelle du Thoronet,
dans laquelle (ou dans d’autres petites bastides formant quartier)
habitaient un grand nombre de cousins Camail.
Le retour au Cannet
dans la bastide de la Trinité
Vous vous êtes installés avec tous les enfants en vie au quartier du
Canet que l’on appelle la Trinité, en bordure de Vidauban, un endroit
maintenant sinistré car tu as pu voir ces grandes voies, d'abord le
chemin de fer Paris-Nice, puis la nationale 7, puis l'autoroute A8 qui
traversent la plaine à deux cents mètres de ta maison, en dessous de la
paisible route d'Italie qui bordait votre propriété.
Ce terrain de forme triangulaire est bien toujours là tel que tu l'avais
connu. Il est limité par la route d'Italie au sud ainsi que par les deux
branches du chemin Moulinier (maintenant chemin de Baduel) qui se
rejoignent dans la pointe du triangle. C'est ce chemin qui marque la
"frontière" entre Le Cannet et Vidauban. Le cadastre issu des relevés
napoléoniens montre que votre
bastide est bien posée au centre du terrain. Il y avait
aussi à ton époque sur celui-ci, en bordure de la route d'Italie, la
petite chapelle de la Trinité qui a disparu. Tu peux t'en rendre compte
sur une autre vue magique prise du ciel, c'est ton
terrain au 21ème siècle, la bastide est toujours là et
les terres sont cultivées, mais elle est seule.Et maintenant, un peu
plus bas sous la route d'Italie à une centaine de mètres de votre
bastide, les trois grandes voies de circulation rail et routes qui vont
vers l'Italie.
Les filles se
marient
Une étape de votre existence est franchie ensuite avec le mariage de
Justine dont j’ai déjà beaucoup parlé puisque c’est grâce à lui que je
t’ai trouvée, vivant à Vidauban. Vous l’aviez emmenée bien entendu avec
vous au Cannet, c’est donc là qu’elle a épousé le 5 septembre 1824 un
jeune agriculteur du Cannet, Donat Truc. Ce qui m’a fait plaisir est de
constater que tu avais de bons rapports avec ta famille Gibelin, puisque
ton frère Louis, devenu notable dans la commune était le premier témoin.
C'est en 1835; un 3 mars, que l'on a le plaisir de découvrir
l'acte
de mariage de Marguerite Maxime Camail. C'est ton aînée
pour laquelle nous avions quelque inquiétude car elle était née dans la
période trouble révolutionnaire à Vidauban. Il ne fallait pas
s'inquiéter de ce silence , elle était tout simplement restée blottie
dans le nid familial avec ses nombreux frères et soeurs. Elle se
découvrait il est vrai un peu tardivement, elle avait 40 ans. Mais
pourquoi diable le greffier du Canet lui en a-t-il attribué 43? alors
que la date de naissance, qui est aussi précisée, est correcte, mais
exprimée en calendrier révolutionnaire, qui devait être loin des esprits
30 ans après, l'an 3 est bien 1795. Ceci dit, on était en 1835, c'est
ton frère Louis qui était responsable et signe l'acte comme maire et
c'est sa nièce la mariée qui est ainsi mal traitée. Il aurait du faire
preuve de plus de professionnalisme alors qu'il prétend par ailleurs ne
faire que suivre la procédure légale pour la conduite d'un mariage en
écrivant que "la future épouse et sa mère ont déclaré ne savoir signer
duement enquises suivant la loi". Le moins que l'on puisse dire est que
cela manque d'élégance vis-à-vis de sa soeur aînée et de sa nièce.
J'aurai aimé pouvoir lui faire une suggestion : qu'il fasse pour toi ce
que le curé Giraud avait fait pour lui 37 années auparavant, en signant
à ta place. Car vous étiez bien là avec ta fille et parfaitement
consentantes à ce mariage, c'est bien cela qu'un maire doit enregistrer.
J'ai ben aimé la profession de l'épousé, Honnoré Pierrugues, qui est né
à Draguignan, a 50 ans et exerce la profession de boulanger au Canet.
Voilà un gendre intéressant, ma chère maxime!
Une belle
initiative : le recensement des populations
Peu de nouvelles ensuite dans les registres du Canet jusqu’au décès
d’Honnoré en 1843. Entre temps des informations sur votre foyer m’ont
été procurées par les données de recensements de la population tous les
cinq ans, le premier a été fait en 1836 au Cannet. C’est grâce à
celui-ci que j’ai pris connaissance de la composition de votre foyer.
Tu as répondu aux questions que venait poser l’enquêteur dans toutes les
bastides de la commune, tu n'as bien entendu pas pu prendre connaissance
des résultats dans le document récapitulatif. Quoique ton frère ait très
bien pu t'en faire part car c'est lui, Louis Gibelin, qui signe la page
titre imprimée de cet "Etat nominatif des habitans". Elle donne un
résumé, ce que nous appelons une statistique, du nombre d'habitants, la
répartition des hommes et des femmes dans chacune des catégories que
vous deviez indiquer au recenseur : célibataire, marié(e) ou veuf (ve).
Je t'en fais part, car cette répartition me surprend et risque d'être
plus surprenante pour toi qui a eu tant d'enfants "femelles" pour
employer le terme utilisé dans les actes communaux.
Parmi les 901 personnes résidant au Cannet, il y avait en effet plus de
mâles que de femelles. Il y a pourtant plus de veuves que de veufs, ce
qui est une constante quasi universelle, de ton temps comme du mien. Les
femmes vivent plus âgées que les hommes, nous disons qu'elles ont une
espérance de vie plus grande que nous, hommes, que l'on dit être du sexe
fort. Malgré cela, dans le décompte total des hommes et des femmes,
l'écart est très important entre les hommes et les femmes célibataires.
Un calcul rapide montre qu'un garçon sur quatre, s'il avait voulu se
marier, n'aurait pu trouver d'âme soeur au Cannet. Je me suis mis à la
place de ces malheureux (ou supposés tels) et fait un tour dans les
communes avoisinantes.
A ton époque, le Thoronet comptait deux fois moins d'habitants que le
Cannet, Vidauban deux fois plus, et Le Luc, chef lieu de canton, quatre
fois plus. Les hommes sont très légèrement en majorité dans les deux
dernières. Seule la petite commune du Thoronet a un déficit aussi
important en mâles que le Cannet. Peut-être aurais-tu eu la possibilité
de me donner une explication sur cette particularité cannetoise, mais
j'en doute. Cela doit faire partie des caprices de la nature. Ce qui est
sûr est que la descendance de Maxime et Honoré est nettement en dehors
de la norme communale, avec une majorité écrasante de filles. Est-ce une
particularité Camail ou Gibelin, je verrai cela plus tard.
Votre "singularité" est naturelle, mais je me rappelle que dans ta
région comme dans l'ensemble de notre pays, j'ai rencontré dans ma
jeunesse, autour de chez toi, plusieurs femmes restées célibataires
parce qu'une guerre qui avait eu lieu 25 années avant ma naissance avait
été une véritable boucherie, elle avait décimé toute une génération
d'hommes. Je me souviens de cette cousine habitant au Cannet, dont je
t'ai parlé, proche du marquis de Colbert, qui était restée vieille fille
(c'est ainsi que nous appelions les femmes célibataires) parce que son
fiancé avait été tué au cours de cette guerre. Voilà qui te montre que
si nous avons fait d'immenses progrès, en médecine et hygiène par
exemple, ce qui fait qu'il n'y a pratiquement plus d'enfants qui meurent
en bas âge, la nature de l'homme est telle qu'il compense ses actions
bienfaisantes par des crimes de masse qui anéantissent des populations
entières.
La statistique
familiale de maxime et Honoré
Avec ce recensement nominatif apparait enfin, pour la première fois, la
composition du foyer que tu as constitué avec Honnoré, dans la petite
bastide de la Trinité. J'ai localisé précédemment, sur les plans
cadastraux, où se situait ce quartier à la limite du Cannet et de
Vidauban. Ainsi j'ai appris que sept de tes enfants vivaient à l'époque
sous votre toit. Avant d'aller plus loin, il est grand temps de faire le
décompte exact (une sorte de statistique personnelle) de la nombreuse
famille qu'Honnoré et toi aviez constituée, je n'ai pas eu le temps de
le faire jusqu'alors, étant trop absorbé par la vérification de ce que
je découvrais.
J'arrive au nombre de 13 enfants dont tu as accouché, actes de naissance
à l'appui. Il est vraisemblable que d'autres grossesses n'aient pas été
menées à terme, les fausses couches existent encore en nombre non
négligeable à notre époque, elles étaient légion au cours de la tienne.
Dans ton cas, le rapprochement des naissances de tous tes enfants laisse
toutefois peu de place à d'autres grossesses intermédiaires,
certainement pas plus de trois. Que tu aies été seize fois enceinte est
quelque chose qui n'était pas exceptionnel à votre époque. C'est devenu
très rare à la nôtre, là aussi les moyens de la science ont permis aux
femmes de n'être fécondes que lorsqu'elles souhaitent avoir un enfant,
ce qui doit te laisser rêveuse. Tu aimais bien les petits enfants, mais
tout de même, si tu avais eu cette possibilité, je suis sûr que tu
aurais limité le nombre de petits Camail pour avoir une meilleure
existence.
A mon époque, autour de l'an 2000, les familles sont en moyenne limitées
à deux ou trois enfants dans notre pays, ce qui permet de maintenir le
même niveau de population globale, car presque tous arrivent à l'âge
adulte. Comme tu peux le constater, La situation a donc considérablement
évolué depuis ton siècle, mais c'est assez récent. La limitation des
naissances que nous appelons contraception, date de la dernière partie
du 20ème siècle. Dans les générations qui précèdent la mienne il y a
encore beaucoup d'enfants, je t'ai dit que nous étions huit, ma mère
ayant eu 11 grossesses. Plus fort, mon épouse est née aux Pays-Bas dans
une famille de 15 enfants que je connais bien car ils ont tous vécus en
fondant autant de familles (dont aucune n'a plus de trois enfants!). Là
est la grosse différence avec ton temps, les enfants ne meurent plus "en
naissant" ou avant d'atteindre l'âge adulte comme cela était si
fréquent, chez toi comme chez tes frères.
Moi, j'arrive à 13,
n'en ai-je pas manqué?
Dans la liste de 13 noms que j'ai patiemment constituée, le recensement
de 1836 je n'ai pas trouvé la deuxième jumelle Apolienne Maxime au
premier prénom vaguement grec. N'ayant pas constaté son décès très
jeune, j'espère qu'elle a bien vécu, qu'elle s'est mariée à mon insu et
qu'elle a peut-être eu beaucoup d'enfants comme toi! En tout état de
cause il n'est pas anormal, compte tenu de l'âge qu'elle aurait atteint
cette année là, 40 ans, qu'elle ne soit plus chez papa et maman.
Justine était mariée depuis 12 années maintenant et vivait pas très loin
de chez vous avec son époux Donat Truc. L'aînée Marguerite maxime venait
tout juste de se marier l'année précédente avec le boulanger du Canet.
Trois enfants étaient morts encore bébés. Comme je suis doué en calcul
mental, je déduis rapidement que j'aimerais bien que la personne venue
recenser la bastide de la Trinité ait rencontré sept enfants, non pas
des gamins mais des adultes non mariés.
C'était
gagné!. L'enfant le plus âgé après ses deux aînées
fantômes, dernier à naître au siècle précédent, était encore à la
maison. Jean-Baptiste Honoré y restera, célibataire, jusqu'à son décès
un peu avant le tien. On sait maintenant qu'il y avait trop de garçons
pour la population féminine du Cannet, ton fils aîné a certainement été
victime de leur surnombre.
Cette année là cinq filles "bonnes à marier" vous tenaient compagnie,
Madeleine née au début du siècle, Marie Eléonor qui avait 32 ans, Marie
Sophie un an de moins, Anne Rosoline était catherinette (nommait-on déjà
ainsi au Cannet les jeunes filles non mariées lorsqu'elles atteignaient
25 ans?) enfin Marie Emilie qui atteignait sa majorité. Elle était la
plus jeune, vous n'aviez plus d'enfants mineurs et donc sept majeurs
présents sous le toit familial. N'oublions pas en effet André Honoré qui
avait 28 ans. La mention des autres personnes recensées comme résidant
dans votre bastide est importante : François Brès, 16 ans et Honoré
Lizouard, 30 ans tous deux
berger domestique. Avec le chef de
famille Honoré, ménager alors âgé de 69 ans, et maxime 62 ans, vous
étiez en ces temps-là 11 personnes à vous serrer les soirs d'hiver dans
la petite pièce commune.
Les dernières
années à la bastide de la Trinité
La vie s'est donc écoulée semble-t-il paisiblement, sinon dans
l'opulence, pendant toutes ces années du milieu du 19ème siècle. Vous
aviez pu reprendre l'activité de magnanerie que l'ère révolutionnaire
avait quelque peu malmenée et vous aviez encore devant vous deux ou rois
décennies avant son déclin. En bordure de la commune de Vidauban, il y
avait un ruisseau longeant le chemin Moulinier, et beaucoup d'autres
proches, peut-être disiez-vous des roubines, le long desquels vous avez
pu replanter des mûriers avec la prime offerte de 2 ou 3 francs par
arbre. La présence de deux bergers domestiques au sein de votre
maisonnée nous indique que vous aviez quelques terres et des animaux,
mais le recenseur n'était pas venu pour les compter!
Cinq années plus tard, pour le recensement suivant,
deux enfants ne figurent plus comme résidant avec leurs parents.
Anne
Rosoline s'est mariée en 1838 à 27 ans avec Louis Eugène
Gros cultivateur de 29 ans au Canet. Pratiquement en même temps que son
cousin Alexandre Gabriel. André Honoré est aussi marié.
Avançons encore
de cinq années. Nous sommes en 1846. Evènement majeur et triste pour
tous, Honoré n'est plus là. Il
est décédé trois années auparavant à l'âge de 76 ans,
certainement usé par les tâches de "ménager" agricole et de soutien de
famille. Mais pour l'époque il était arrivé à un âge que peu de vos
concitoyens atteignaient. Du coup le recenseur note que Maxime est
veuve
chef de famille, Jean-baptiste et Eléonor qui resteront
célibataires sont toujours là. Par contre
Madeleine, qui s'est mariée deux années auparavant, à 43
ans, avec André Henry, agriculteur propriétaire de 49 ans qui est veuf,
n'est plus présente ainsi que Sophie et Emilie qui se sont aussi
mariées.
Une surprise, celle de revoir André qui, après avoir vécu autonome avec
son épouse durant quelques années, est revenu avec celle-ci ... plus
deux enfants de 1 et 2 ans. Gageons que, les temps étant durs, il n'a pu
maintenir le cap tout seul et qu'il soit revenu dans le giron familial,
plus précisément maternel.
Cette situation sera renforcée au prochain recensement, André est resté
avec sa femme Marie Dol, mais ils ont maintenant quatre enfants,
François, Désiré, Honoré et Maxime. La bastide de la Trinité s'est
nettement repeuplée. Tu as alors 78 ans, et vit dans cette maison avec
les deux autres enfants célibataires.
Ceux-ci y décèderont un peu plus tard,
Jean Baptiste en 1852 à l'âge de 54 ans,
Eléonor
en 1857 au même âge.
Entre temps a lieu l'évènement qui
va clore notre entretien, ton
décès à l'âge de 79 ans, âge respectable comme il a été
dit pour Honoré dans les mêmes circonstances.
Heureux d'avoir
fait ta connaissance, maxime
J'ai parcouru 79 années à ta rencontre dans ces trois communes que tu
n'as jamais quittées, passant de l'une à l'autre en franchissant les
petits ruisseaux à sec, disons les petits vallats, qui les séparent. Je
n'ai vu de toi que ce qui est apparent et ce que j'y ai perçu me laisse
le grand regret de ne pas avoir pu confronter mes impressions et
intuitions par un accès ne serait-ce qu'à une image ou une parole de
maxime.
Notre entretien restera donc virtuel. Ce n'est pas un problème pour moi,
car beaucoup de faits et évènements le sont à notre époque. Ne serait-ce
que le moyen qui a permis notre rencontre, à mi-chemin de la fiction et
des réalités que mes explications simplistes sur la technologie de
maintenant n'ont pas pu suffire à démythifier.
Alors, n'ayons pas de regret, ni l'un ni l'autre. Notre rencontre a bien
été réelle, elle est du domaine de l'indicible et de l'ineffable,
n'essayons pas de la justifier ni à priori, ni à priori.
Il me reste à te remercier, ma chère maxime, pour m'avoir permis, moi
citoyen d'un 21ème siècle sans cesse en quête de nouvelles merveilles
technologiques, de découvrir sous ta conduite le passé de mes ancêtres
en suivant leur laborieuse existence dans un pays qui se nomme la plaine
des Maures.
génération 5 - les
enfants d'André : notre Gibelin, Gabriel André
Quatrième par ordre chronologique, il est le dernier enfant de la
fratrie dont nous allons décrire l'existence. S'il a été gardé pour la
fin, c'est parce qu'il est le seul qui ait eu des descendants mâles.
Sans lui le patronyme Gibelin de son père André n'aurait pas survécu, et
je ne serai pas là pour vous en parler, ce qui aurait été dommage,
n'est-ce pas? (pour le patrimine bien sur).
Il faut dire que pour être sûr d'assurer la continuité de la dynastie,
il s'est donné du mal, notre ancêtre Gabriel car il a conçu neuf
enfants. Oui bien sûr son épouse a certainement eu encore plus de mal
que lui pour en arriver là mais bon, on ne parle que du père dans de
telles circonstances car c'est lui qui transmet le nom. A l'époque la
mortalité infantile était telle que ce nombre de naissances n'était pas
trop élevé, car deux enfants sont morts bébés et deux autres à l'âge de
conscription militaire.
Débuts matrimoniaux
un peu chaotiques
traduction du Fac similé ci-joint:
L’an mil sept cent quatre vingt le cinquième du mois d’août a été baptisé dans cette paroisse du Canet par nous vicaire soussigné du Canet Gabriel André fils naturel et légitime d’André Gibelin negociant et la mère victoire Rossoline camail et a été baptisé le dix du même mois par la l… du .ois le parrain a été M Jean battelan Bourgois du canet la marraine Marie Gabriele raphaèle marquise du canet qui a signé au bas qui a signé avec moi raphael du canet (et signature vicaire)
Gabriel André est né
en août 1780, sa marraine a été, comme d'habitude
puis-je dire, Marie Gabriele Raphaelis marquise du Canet.
Au cours de son existence, il se fera appeler simplement Gabriel, mais
un certain nombre d'actes le nomment curieusement Jean Gabriel.
Seul
l'acte de décès restituera les deux noms d'origine que nous reprendrons
lorsqu'il sera cité dans la lignée des Gibelin, ne serait-ce que pour
éviter la confusion avec son fils aussi Gabriel.
Le premier acte
rencontré ensuite n'est pas celui du mariage mais celui du premier
enfant. Celui-ci est déclaré
le 25 mai 1800, il est prénommé Jean-Baptiste et
enregistré sous le nom de sa mère Marguerite Rimbaud.
C'est une jeune
fille de 20 ans née
au Luc dont les parents se sont établis au Cannet
quelque temps auparavant.
première naissance en couple "libre"
Le père est sans conteste notre Gabriel André car le
greffier avait d'abord écrit, sous la dictée des deux témoins étrangers
à la famille venus faire la déclaration de naissance à la place du père,
qu'il s'agissait
d'un enfant mâle fils naturel de Gabriel André Gibelin. Cette
phrase a été barrée ensuite de petits traits de façon telle qu'elle
reste très lisible.
Mais que l'on se rassure pour le petit
Jean-Baptiste, il sera plus tard intégré dans la famille sous le
patronyme Gibelin.
On en aura malheureusement la preuve lorsqu'
il
décédera à l'âge de 21 ans dans la commune avec un nom et
un père Gibelin. Ce n'est pas l'armée qui a causé sa perte comme ce sera
le cas pour un de ses frères. Les décès d'adolescents par maladie ou
accident n'étaient pas rares à l'époque.
Marguerite et Gabriel
continuaient à avoir des relations, ils décidèrent de se marier
en septembre de l'année suivante pour régulariser une
situation qui allait se compliquer parce qu'un deuxième bébé était en
route. Il serait en effet déclaré quelques mois plus tard, c'est un deuxième
garçon Joseph Gabriel. Son deuxième prénom est, comme ce
sera le cas pour ses futurs frères, celui du père, qui pouvait être
affiché maintenant. On a vu en effet que c'était une habitude chez les
Gibelin de semer (aussi) leur prénom.
mariage de Gabriel Gibelin Marguerite Rimbaud le 15 09 1801 naissance du deuxième enfant le 14 mars 1802
Amateurs de
romans feuilletons, s'abstenir
Je dois rappeler à ceux qui dévorent la saga des Gibelin depuis un
certain nombre d'écrans ou qui la prennent en route, qu'ils ne
trouveront pas ici de descriptions sentimentales ou de romances pour
midinettes. Si c'est cela qu'ils préfèrent, ils pourront aisément les
obtenir ailleurs par exemple dans la plus proche gare pour se pourvoir
en pavés de toutes sortes de nuances de rose ou de gris. Ici, ce sont
les faits bruts, noms et dates, qui sont exposés, rien n'est soumis à
interprétation, seulement à compréhension. J'écris cela, et j'insiste
lourdement, car j'ai quitté maxime, j'en suis à mon aïeul direct et je
ne voudrais pas que celui-ci puisse supposer qu'un petit galopin issu
de sa descendance fantasme sur son existence. Qu'il soit assuré que
telle n'est pas mon intention, et il ne sera rien dit qui lui soit
préjudiciable.
Si je voulais me complaire dans l'imaginaire, je
décrirai d'autres évènements que ceux que je relate ici, car je dois
faire savoir maintenant que le jeune couple Gabriel Marguerite n'aura
pas de chance avec ses deux fils aînés. On sait déjà que le premier,
l'enfant de l'amour, mourra à peine adulte. Le deuxième aura une
existence beaucoup plus brève puisqu'il va décéder maintenant
(c'est-à-dire à ce moment de ma relation) à
l'âge
de deux ans, en 1803.
Dieu merci ils ne se découragent pas pour autant. En quatre ans ils
donnent le jour à trois nouveaux enfants, toutes des filles.
C'est
Marie
Roze qui arrive d'abord, au printemps de l'année 1804.
Cette fois, l'enfant est en bonne santé et nous pourrons la retrouver
beaucoup plus tard lorsqu'elle
épousera
en 1836 Joseph César Perrimond, un jeune agriculteur de
la commune qui a 4 ans de moins qu'elle.
Elle
décède en 1884.
La seconde fille est
Adeline
Eléonor née juste deux années plus tard qui aura aussi
une existence épanouie, en tout cas au vu de son passage dans les
actes d'état civil.
Elle
épousera à l'âge de 28 ans Augustin Esquier ménager,
qui en a 30. Elle meurt à 71 ans
le 14 novembre 1877
Nouveau passage de la dame à la faux au foyer de Gabriel,
le
bébé né en février 1808, Marguerite Claire, ne survivra
que
trois
semaines après sa mise au monde. Je porterai plus tard
grande attention au garçon qui va venir ensuite,
le
4 février 1811, car Alexandre Gabriel nous transmettra
le flambeau des Gibelin. Trois enfants restent à venir.
Drames familiaux
provoqués par les conquêtes coloniales
Un autre garçon d'abord,
Charles
Xavier Stanislas, en juin 1814 qui n'aura pas plus de
descendance que les deux aînés. Il mourra en effet au service de la
nation à l'âge de 27 ans. La relation de son décès donne une image des
activités de notre pays que nous voyons maintenant d'un tout autre
oeil qu'alors. C'était en 1841, dix ans après la prise d'Alger, puis
de la smala d'Abd d'El-Kader, nous étions en pleine conquête de
l'Algérie par l'épée et la charrue avec Bugeaud, l'homme à la
casquette. Les rubriques pré-imprimées des dates et filiation on été
rayées, un texte est développé sur tout l'acte. Il reproduit un
extrait mortuaire de l'armée d'Afrique à l'hôpital d'Elarrouch près
Philippeville, et indique en substance que Charles Xavier, tambour à
la 2ème compagnie du 1er bataillon du 62ème de ligne, matricule 8363,
est entré à l'hôpital le 7 avril 1841 et y est décédé à 5 heures du
soir par suite de diarrhée chronique. Triste fin pour le jeune homme
aux trois prénoms si riches de promesses de nobles conquêtes. En fait,
le milieu du 19ème siècle a été une période creuse en matière de
guerres européennes. Les folles équipées napoléoniennes s'étaient
estompées et nos voisins de l'autre côté du Rhin n'avaient pas encore
pris l'habitude de franchir celui-ci tous les trente ans. Alors notre
armée pouvait s'investir en allant conquérir une grande partie de
l'Afrique, à commencer par le Maghreb. Et l'ennemi que pouvait le plus
redouter nos braves jeunes compatriotes soldats, même s'ils n'étaient
que de simples tambours, ce n'est plus le cosaque, ni le uhlan, c'est
la diarrhée chronique.
Une fille née en 1816,
Fortunée
Honorée maxime pourra porter, du moins c'est tout le
mal que nous lui souhaitons, son prénom avec bonheur. Elle épousera en
1845
Noël Calixte Codou qui a 29 ans et exerce la profession
de cordonnier. Il y avait donc au Canet quelques personnes qui
n'étaient pas agriculteurs ou ménagers, ou propriétaires! Tous les
autres protagonistes de cette séquence consacrée à Gabriel André
appartiennent en effet à l'une de ces trois catégories qui pour moi
sont sensiblement équivalentes, prises tantôt l'une, tantôt l'autre
dans les différents actes d'état civil d'une même personne.
Un dernier fils
Joseph
Jean Gabriel, naîtra chez Gabriel et Marguerite en
1818, il lui a été donné les prénoms du deuxième enfant du couple qui
n'avait vécu que 2 ans. A l'âge de 27 ans celui-ci
se
mariera en 1845 avec Marie Lucie Jassaud du Canet le
même jour que sa soeur Fortunée. C'est un coup double pour la famille
Gibelin réunie au complet, et une grande satisfaction pour Gabriel
dont les trois filles et les deux garçons sont maintenant tous mariés.
Gabriel a alors 65 ans, il n'a plus que quelques années à vivre. Ce
dernier fils s'établit comme cordonnier au Cannet. Il va avoir
plusieurs enfants, d'abord Sabine
l'année
même de son mariage puis une autre fille
Caroline
en 1847. Ces deux filles grandiront normalement. Ce qui
ne sera pas le cas des deux enfants suivants.
François
naît en 1848 et meurt de suite, après avoir vécu
seulement
10 jours. En 1852 naît un
dernier
enfant Louise qui ne survit
que
6 jours. Ce fils de Gabriel n'aura donc pas de
descendance masculine qui aurait pu transmettre le nom.
La malédiction des Gibelin va se poursuivre. Il a été le seul
survivant mâle de la génération des enfants d'André. S'il laisse,
malgré des décès trop nombreux, une belle descendance, il n'y aura
parmi celle-ci qu'un seul de ses deux fils en vie, Alexandre Gabriel,
à avoir une descendance du nom de Gibelin.
La vocation de celui-ci
étant de devenir notre trisaïeul il va devenir le héros du prochain
chapitre.
Lorsque Gabriel
meurt le 24 février 1850, il a soixante dix ans, il
n'est pas allé aussi loin que ses aînés qui ont approché les huitante
années, c'est son frère Etienne qui rédige l'acte de décès car il
faisait fonction de maire à ce moment-là.
génération 4 : le
trisaïeul Gabriel Alexandre
Une famille
paysanne du 19ème siècle
Nous sommes maintenant au coeur du 19ème siècle. Notre trisaïeul Gabriel
Alexandre est né en 1811, il connaîtra les deux
premières républiques, la monarchie de juillet puis le second empire
et quand il meurt la 3ème république sera déjà solidement ancrée. Nous
le nommerons avec ses deux prénoms dans cet ordre, bien que sur ses
actes de naissance et de décès il soit Alexandre Gabriel. Comme tout
au long de son existence il n'a utilisé que celui de Gabriel, nous
voulons bien pour lui être agréable lui donner priorité, il est
cependant nécessaire de bien accoler le prénom impérial qu'il a réfuté
afin de le distinguer de son père.
Disons de sute que sa profession modeste sera pendant toute son
existence identique à celle de son père et de son grand père, elle est
nommée au gré des actes cultivateur ou ménager, qui veut tout à la
fois tout dire et ne rien dire en cette Provence peu prospère. Il
aurait été intéressant, pour compléter cette présente prise de
connaissance de nos aïeux, d'en savoir plus sur leurs façons de vivre
en dehors du travail, si tant est qu'ils aient eu de tels moments de
liberté. Le Cannet n'était pas un désert, il y a toujours eu dans
cette plaine de nombreux ruisseaux, ils n'étaient pas tous
complètement secs l'été, et l'Argens arrose les communes voisines. La
sériciculture était importante depuis le siècle précédent pour ces
populations peu denses, mais son économie à peine relevée allait
complètement chavirer. Alors on imagine que le terme d'agriculteur
n'avait rien à voir avec ce qui qualifiait les paysans des riches
terres au nord de la Loire. Les paysans vivotaient sur leurs terres
avec quelques produits locaux pour leur consommation familiale tels
olives, figues, oignons. La sortie de ce monde paysan vivant
uniquement (et mal) de la terre, ce sera pour la prochaine génération.
S'il a été témoin de changements politiques majeurs, il n'y eu que peu
de progrès techniques, et Gabriel a vécu pratiquement à l'identique de
ses ancêtres.
Dans cette continuité Gabriel Alexandre sera un peu plus prolifique
que son grand père et autant que son père, il aura en effet 9 enfants.
Il va se
marier en 1838 à 27 ans> avec une jeune fille du Cannet
de 3 ans de moins dont le nom de famille, Tambon, était alors très
répandu dans la commune. Le mot clan très celtique ne serait pas
adapté pour parler des nombreuses personnes ayant le même nom que l'on
trouve sur les différents actes civils du centre Var. Ils utilisaient
certainement un autre qualificatif, ne serait-ce que parce qu'ils
parlaient surtout le provençal et pas la lanque d'oil. Quelques
familles avaient essaimé de telle façon qu'il était impossible par
exemple de faire cent mètres sans rencontrer un Camail à Vidauban ou
un Tambon au Cannet.
Si l'on ajoute à cela que les prénoms étaient presque toujours ceux
d'autres membres de la famille, à commencer par les parents,
marguerite tambon ou honoré camail existaient en un certain nombre
d'exemplaires. Ce qui on l'imagine n'est pas pour faciliter
l'identification sur les différents relevés d'état civil! Une chance
(si l'on peut dire) en ce qui concerne notre famille Gibelin, ce nom
n'existait pas au Cannet avant la venue d'André qui avait "émigré" de
la lointaine commune de Cotignac distante de près de cinq lieues.
Alors pas de problème, si vous rencontrez un individu nommé Gibelin
sur un regisre communal, il est de la famille d'André.
La mariée
Marie
Delphine Tambon dont on ne retiendra que le deuxième
prénom était née en 1814, le maire Charles françois Guillou qui a
succédé à André Gibelin, signe seul, de son paraphe très compliqué
pour faire oublier l'absence de celles des autres personnes présentes,
car toutes ont dit "ne savoir signés de ce enquis suivant la loi" y
compris les témoins Rimbaud et Perrimond qui portent deux autres
patronymes très usités au Cannet. On n'en saura pas plus pour
l'instant de la profession de son père, alors disons au hasard
agriculteur.
Drames familiaux
provoqués par les conquêtes coloniales
Nous sommes encore dans des conditions voisines de celles de la
précédente génération pour ce qui touche à l'hygiène et aux progrès de
la médecine, Pasteur n'est pas encore passé par là. La mortalité
infantile est encore élevée, Gabriel et Delphine paieront leur tribut
au malheur des enfants morts en bas âge. Leur deuxième enfant, un
garçon
Xavier
Maturin né en 1840 ne pourra pas atteindre son premier
mois de vie. Quatre ans plus tard, une
petite
fille, Henriette, dépassera tout juste deux mois. Un
autre garçon, Rolin, décèdera à 25 ans, mais pour une toute autre
raison que médicale, puisqu'il aura un accident, et de plus il aura eu
le temps de laisser une seule descendante, ce dont je me contente
amplement car ce sera ma grand mère et lui permettra d'être évoqué
plus longuement tout de suite après avoir passé les autres éléments
(six, si vous avez bien suivi) de la fratrie des "enfants
d'Alexandre".
Dans l'ordre chronologique honneur à l'aîné
Louis
Théophile Gabriel, qui naît en 1838, il fera carrière
dans les chemins de fer, j'aurai donc peut-être l'occasion de le
revoir lorsque nous en serons à l'histoire de notre bisaïeul Rolin. A
propos de Louis, on ne peut manquer de faire le rapprochement avec
l'aîné de la génération précédente, souvenez-vous, celui dont
Marguerite Rimbaud avait du assumer seule la naissance pendant une
année. Mais rien de tel ici pour Delphine qui était déjà mariée
lorsque Louis est né. Oh bien sûr deux mois d'écart entre mariage et
naissance, ce n'est pas énorme et la novi a du avoir du mal à
trouver une robe de mariée à sa taille. Mais pour l'état civil tout
était en ordre.
Il y aura aussi
Elisabeth
Delphine en 1842
François
Gabriel Joachim 1847
Félicie
Alexandrine en 1848
Rolin Justinné en 1850 qui deviendra l'arrière grand-père au prochain épisode
Joseph
Gabriel en 1855
Charles
Frédéric en 1857 que l'on retrouvera un peu après le
décès de Rolin, vous verrez comment
Tous les enfants vivants de Gabriel Alexandre ont
été éduqués, son père l'avait été, sa belle signature régulière
dénotait une belle facilité d'écriture. Son grand-père André qui
n'avait pas été à l'école s'était formé alors qu'il avait déjà
plusieurs enfants. Pourquoi alors ce fils de la 3ème génération, au
seuil du 20ème siècle, a toujours déclaré à l'officier d'état civil
qu'il ne savait même pas signer. L'explication me semble banale, je ne
vais pas jusqu'à dire que mon arrière arrière grand-père était un
demeuré, mais il n'a certainement pas eu les facilités et l'intérêt de
se cultiver. Ce qui n'enlèvait rien à ses mérites, à sa manière de
vivre en société et en famille. Après tout on peut très bien réussir
en étant limité intellectuellement. Et même devenir des héros adulés
par les foules. L'homme moyen du 21ème siècle, qui est essentiellement
téléphage, admire à longueur de journée ceux que lui impose sa petite
lucarne.
Lorsque Gabriel
Alexandre décède en 1886, il a vécu exactement trois
quarts du 19ème siècle depuis la chute de Napoléon jusqu'à la valse
des ministères de la récente troisième république.
On l'a déjà dit,
sans voir cependant de changement notable des modes de vie, les
découvertes scientifiques et techniques des précédentes décennies vont
entraîner dans les quelques année qui suivirent sa mort les plus
grands bouleversements que l'humanité ait connus au seuil du 20ème
siècle.
Tout juste aura-t-il pu voir se répandre ce moyen de
locomotion en trains entraînés par des locomotives à vapeur, ce qui va
procurer un travail hors de l'agriculture, pour la première fois dans
la famille Gibelin, à deux de ses fils.
Pour le malheur du plus jeune,
qui a été plusieurs fois évoqué au cours de la saga, l'arrière grand père tué par une locomotive à 26 ans, on va maintenant
enfin s'intéresser à lui de plus près.
Une courte vie
suivie d'énigmes
Voici maintenant venue l'heure d'évoquer cet aïeul dont la courte
existence a éveillé notre intérêt et suscité la relation de la saga des
Gibelin. Il sera le dernier à porter ce patronyme en ce qui nous
concerne car les deux branches de l'arbre qui nous séparent de lui sont
des femmes. La vie des ancêtres étant essentiellement connue par leurs
actes civils, aucune de leur jeunesse depuis l'âge de bébé jusqu'à
l'adolescence, n'a laissé la moindre trace, c'est pour cela que vous
n'en avez rien su. La vie de Rolin s'étant arrêtée l'âge adulte à peine
atteint, aucun trait de sa personnalité ne pourra être mis en évidence,
donc pas de dissertations sur celle-ci comme cela était possible avec
une existence aussi fertile que celle de maxime.
En dehors des circonstances de sa mort, subsistent un certain nombre
d'énigmes apparues après son décès, elles sont centrées sur la
personnalité de sa veuve. Rolin est né au Cannet en 1850. Il a déjà été
évoqué lors de la relation de la vie de Gabriel Alexandre et Delphine
Tambon, ses parents. Il était le septième enfant de cette famille qui en
a comporté neuf. Nous aurons l'occasion de reparler de deux de ses
frères, l'aîné Louis Théophile et le benjamin Charles Frédéric qui
deviendra très proche de sa fille et de sa petite fille par alliance
Olinde Serre.
Un enfant prénommé
Rolin
Son acte de naissance n'est là que pour dire l'essentiel,
nous y relevons cependant deux à-côtés. D'abord en ce qui concerne les
témoins qui se sont penchés sur son berceau, comme l'on dit. Ce sont les
Escarrat père et fils qui sont tous deux menuisiers, bien belle
profession que Rolin aurait du exercer plutôt que d'entrer dans les
chemins de fer! La dernière formule du maire Barbaroux (qui se qualifie
curieusement de provisoire) précise que le père déclarant lui "a déclaré
ne pouvoir signé de ce enquis suivant la loi". Nous savions déjà que
notre aïeul Gabriel Alexandre, mort au seuil du 20ème siècle, a été le
dernier illettré des Gibelin. Heureusement le petit Rolin ira à l'école
du Cannet pour acquérir les bases d'instruction lui permettant de sortir
de l'agriculture. Olinde nommait son grand-père de son seul second
prénom Justin, il semble que ce soit celui qui ait été utilisé de
préférence. A preuve, il est un des quatre prénoms (Justine) attribués à
ma mère. Peut-être craignait-on l'originalité de Rolin qui était peu
usité, je serais tenté d'écrire pas du tout, mais je n'en suis pas sûr
pour ne pas avoir "épluché" la totalité des actes de la région. En tout
cas, l'orthographe est sans équivoque, c'est bien Rolin avec un "l" et
non un "b" comme je l'ai rencontré dans un arbre émanant du pays d'oil
faisant, par cette consonance germanique, sortir notre bisaïeul de la
forêt voisine. Et bien non, en dépit du métier exercé par ses témoins,
ce n'est pas Robin des bois mais Rolin des maures que nous avons pour
bisaïeul.
Rencontre de Sabine
Olinde
Le jeune Rolin Justin a quitté son Cannet natal car il a obtenu un
emploi aux chemins de fer, à Carnoules. Son aîné Louis et lui furent les
premiers Gibelin qui abandonnèrent le milieu et las activités rurales.
Il fait vite la connaissance d'une jeune Carnoulaise Sabine Madeleine
Olinde Raynaud qu'il épousera bientôt.
Dans son journal écrit un siècle
plus tard par sa petite fille Olinde Serre épouse Bouvant, ses grands
parents Justin et Sabine Olinde faisaient l'objet d'une ligne pour le
premier (
il est mort à 25 ans), de deux pour la seconde (
elle
s'est remariée de suite, fut ma marraine, et je ne l'ai pas connue).
C'est très peu, mais beaucoup pour donner envie d'en savoir plus sur
leur personnalité.
Essayons donc d'en savoir plus sur notre aïeule.
Son acte de naissance nous apprend qu'elle est fille de Sidoine
Ferdinand Martin dont la profession déclarée,
charretier, n'est pas conforme à celle qu'il a sur tous les autres
actes, maréchal-ferrant à Carnoules, fils de Joseph lui-même
maréchal-ferrant à Puget-Ville commune située entre Carnoules et Cuers.
Sa mère est Louise Fioroly née
à Carnoules en 1817 de parents franco-italiens, Cécile
Marguerite Broquier de Carnoules et Giuseppe Fioroli, maçon, né à Milan
dont l'état civil a été francisé en Joseph Fioroly. On a au passage
l'explication des terminaisons en y de certains noms de famille en
Provence. Il y a donc bien au moins un brin de racines italiennes en
nous! Certes les Gibelin n'en avaient pas, le fait a été établi au début
de leur histoire. Mais il semblait impossible qu'une famille provençale
n'ait pas eu à cette époque de liens avec l'un de ces nombreux émigrés
italiens qui étaient, comme chacun sait, soit maçons, soit fabricants de
raviolis.
les parents de Sabine Olinde
louise Fioroly née en 1817 à Carnoules fille d'émigré italien Sidoine Ferdinand Raynaud meurt en 1863, Sabine avait 8 ans
Deuxième acte, le
mariage de Rolin à Carnoules
Rolin et Sabine Olinde se
marient le 12 septembre 1874 à Carnoules. Il a 24 ans,
elle en a 19, ils ont donc toute la vie devant eux; enfin c'est ce qu'on
dit, mais ce n'est pas toujours vrai, comme on va le voir. Le père de
Rolin est venu depuis le Cannet, la distance n'est pas très grande pour
nous, 20 kilomètres. Mais pour notre agriculteur Gabriel Alexandre qui
avait eu beaucoup d'enfants mais était resté illettré, cela a
certainement été une de ses rares sorties. Si vous essayez en effet de
vous projeter un peu plus loin que votre smartphone, vous vous rendrez
compte que voyager sans savoir lire est quasiment impossible. Il
n'aurait par exemple pas pu lire les panneaux à Marignane pour savoir
vers quel hall d'embarquement diriger ses pas, de toute façon en ce
temps-là les agriculteurs n'avaient pas les moyens de se payer le Club
Méditerranée. Il a donc eu droit, en fin de l'acte de mariage de son
fils, à la dernière phrase habituelle et infamante,
signé par tous
et non par la contractante et le père du contractant qui de ce
interpellé ont déclaré de ne le savoir. Ce qui ne lui a fait ni
chaud ni froid puisqu'il n'a pu en prendre connaissance, cette fois vous
l'aviez compris sans que je vous le dise.
Par contre moi, j'ai été très peiné que la contractante, donc la jeune
et charmante Sabine Madeleine Olinde, ait subi le même sort. D'accord,
elle était très jeune, mineure, mais Rolin n'était tout de même pas allé
la chercher au berceau. A dix-neuf ans on ne peut pas exiger le niveau
bac + 5, mais pour apposer sa signature, ce n'est pas indispensable.
N'avait-elle pas pu aller à l'école une seule année? C'est une des
énigmes qu'elle nous pose. Le père était décédé en 1863, il avait été le
maréchal-ferrant de Carnoules. C'est donc sa mère Louise Fieroly qui a
donné le consentement obligatoire pour une mineure, elle a pu
heureusement apposer sa signature quelque peu tremblotante, sans doute
l'émotion de voir s'envoler son enfant. Elle possédait tout de même, la
fille de Giuseppe, le minimum de cette instruction laïque et obligatoire
à laquelle tous auraient du avoir droit. Ma peine est d'autant plus
grande de constater l'illettrisme de la jeune épousée que c'est elle qui
allait quelques mois plus tard devenir mon arrière grand-mère!
Mais pourquoi Carnoules?
Et pourquoi pas Carnoules? Vous préférez peut-être Vesoul comme Jacques
Brel, mais moi je vais vous dire pourquoi notre arrière grand père a
posé son baluchon dans cette petite commune du Var. Et d'abord vous la
situer dans l'espace. Vous partez de Toulon et vous voulez vous rendre à
Nice (pas par la côte bien sûr, c'est trop long et trop dénaturé par les
Parisiens). Et pas non plus par l'autoroute récent qui a pourtant
l'avantage de vous faire gagner beaucoup de temps afin de pouvoir faire
du sur-place plus tôt sur la Promenade des Anglais. Vous
utilisez la route de nos parents. Elle traverse d'abord
La Garde, (retenez-bien ce nom) puis Solliès-Pont (retenez aussi) et
rejoint la N7 (çà vous connaissez) au Luc (retenez encore), commune qui
est est la banlieue du Cannet des Maures (en fait c'est l'inverse, mais
je vous ai tellement parlé de cette dernière que vous pensez qu'elle est
la capitale du Var).
Entre temps vous avez sillonné une belle vallée entre deux massifs
forestiers qui ont résisté aux pyromanes. A droite la forêt qui abrite
la Chartreuse de Verne et le village de Colobrières, on est dans le Var,
mais très loin de la yacht-society de la côte. Vous avez longé trois
villages, Carnoules, puis Pignans et Gonfaron qui est, peut-être
l'ignoriez-vous, le pays où les ânes volent (si vous ne le saviez et
voulez néanmoins les imiter, envoyez-moi un email). Arrêtons-nous à
Carnoules. en expliquant pourquoi un jeune Cannetois promis à une vie
d'agriculteur sans avenir, est venu travailler ici en 1874. On l'a déjà
dit lors de la conversation que nous avons eue avec maxime, le chemin de
fer a été la grande innovation du milieu du 19ème siècle.
Les locomotives à vapeur qui entraînaient nos wagons
de voyageurs étaient poussives, elles produisaient énormément de fumée
très salissante en faisant un bruit d'enfer. Mais je dois dire à
l'intention de la plupart de ceux qui pourraient me lire et ne les ont
de toute évidence pas connues, que c'étaient de merveilleuses machines
qui nous fascinaient quand nous étions enfants. Nous n'étions d'ailleurs
pas les seuls et les paysans de la France entière s'étaient bien vite
rendus compte que les vaches qui regardaient passer le train avaient un
rendement laitier bien meilleur que celles qui étaient privées de ce
plaisir. Rien à voir avec le TGV, aller de Marseille à Nice était alors
un long parcours pour nos machines asthmatiques, il leur fallait une
étape pour se reposer et se désaltérer, car elles n'avaient rien de la
sobriété du chameau. D'où la fortune du petit village de Carnoules situé
entre les deux villes : en 1874, un relais permanent de locomotives y
est installé, sur la ligne créée par la compagnie du PLM
(Paris-Lyon-Méditerranée).
Tous les trains en provenance de Marseille ou de Nice s’arrêtaient à
Carnoules pour changer de locomotive. Le dépôt comptera jusqu’à 100
motrices et plus de 400 cheminots dans les ateliers ou sur les quais. En
1944, il fut la cible des bombardements américains. La concurrence de la
route, dès les années 1930, et l’électrification du réseau dans les
années 1960 avaient mis fin à un siècle d’intense activité ferroviaire
dans ce village.
Carnoules se souvient encore du brouhaha des voyageurs
qui attendaient au buffet de la gare que leur train reparte, car à cette
époque pas si lointaine les déplacements s’effectuaient essentiellement
par le rail.
Aujourd’hui,
une locomotive à vapeur trône à l’entrée du village en souvenir.
Le frère aîné de Rolin (septième enfant) de 12 années plus âgé, avait
très vite compris (rappelez-vous, c'était un rapide, il était venu au
monde chez ses parents deux mois seulement après leur mariage) que les
chemins de fer seraient une source d'emploi pour suppléer l'agriculture
défaillante.
Il travaillait donc dans la compagnie de chemins de fer, et
conseilla à son jeune frère de se faire embaucher.
Vous savez maintenant
pourquoi, dans l'acte de mariage que vous avez examiné, sa profession
est appelée homme d'équipe.
Une vie de famille
pendant une seule année
naissance de la grand mère Augusta Victoria
Bien que travaillant à la Compagnie de chemins de fer, il est plus que
douteux que le jeune employé ait eu droit à un trajet gratuit pour
entreprendre un voyage de noce. Ce n'était pas la coutume à l'époque, et
la compagnie ne s'appelait pas la SNCF. Le jeune couple s'est donc
installé à Carnoules et n'a pas tardé à voir apparaître un bébé, une
petite fille née 10 mois environ après leur mariage, Augusta
Victoria Joséphine qui sera, jusqu'à son mariage, la
dernière à porter ce patronyme.
Y avait-il une raison particulière pour
s'appeler Victoria, certainement pas car en 1874 la France avait subi
une humiliante défaite 4 années plus tôt à Sedan, ce qui nous valut la
troisième république que j'ai connue, étant né 70 ans après, peu avant
une autre humiliante défaite face aux mêmes germains mais pas cousins.
Le jeune père ne profitera pas longtemps de sa petite fille : elle
venait d'atteindre sa demi année lorsqu'il
a été tué dans un accident en gare de Carnoules, suivant
l'expression qui a été employée par la suite.
Le drame en gare de
Carnoules
le décès à 26 ans de l'arrière grand père Rolin
Le dépôt de Carnoules venait d'âtre créé, les locomotives n'étaient
peut-être pas encore très nombreuses mais elles allaient et venaient
sans cesse. Une locomotive, cela ne braque pas du tout, elle ne connaît
que la marche avant ou arrière en ligne droite.
A Carnoules comme dans
tous les dépôts ultérieurs, il y avait donc une rotonde, grande espace
circulaire où l'on faisait pivoter les rails avec la locomotive qui s' y
trouvait. On a tous vu des locomotives manoeuvrer, on les appelle alors
des machines haut-le-pied. Et j'ai souvent entendu parler d'accidents
causés par elles. Ma conviction est que mon arrière grand père a été
happé, comme l'écrivaient les journaux, par une machine haut-le-pied.
Je
le vérifierai lorsque la gazette locale du 7 février 1874 sera
numérisée. L'emprise de la gare, telle que l'on peut la voir
actuellement, a été réduite, il reste encore quelques voies de garage
devenues inutiles, aucun train ne s'arrêtant plus à Carnoules. Seule une
petite "micheline" touristique pour nostalgiques vient lui rendre visite de temps en temps.
Que deviennent
Sabine Olinde et notre grand-mère Augusta?
En février 1876, Sabine Olinde se retrouve seule avec la petite Augusta
sur les bras, au sens propre comme au figuré. Elle est illettrée et elle
est encore mineure. Peut-être a-t-elle obtenu le soutien de sa mère
Louise Fioroly qui s'est remariée après le décès du maréchal-ferrant
père de Sabine. Il est plus vraisemblable qu'elle ait trouvé cette aide
auprès de sa belle-famille au Cannet. Elle y a au moins trouvé
consolation car elle épouse assez rapidement,
en juin 1878 à Toulon,
le cadet de 5 ans de son mari décédé, Charles Frédéric Gibelin
(ils ont donc le même âge) qui était, ainsi que le précise l'acte de leur mariage "ouvrier boulanger de la marine, dispensé du service militaire". Ils ont
l'année suivante, en 1879, un
garçon Théophile Marius. Peu après (peut-être avait-il terminé une période de travail auprès de la marine qui l'avait "didpensé" de service) Charles Frédéric revient habiter avec Sabine (et donc aussi bien sûr notre grand mère Augusta) dans le logement de Carnoules en exerçant son métier de boulanger. L'année suivante y naîtra
une
petite
fille Augustine qui deviendra pour ma mère (et donc pour
moi) Titine de La Garde. Mais n'anticipons pas. Pour l'heure, le jeune frère de Rolin va prendre en charge, outre ses deux enfants, la fille de celui-ci, notre grand mère Augusta, au point que pour ma mère ce sera un
véritable grand-père. C'est ce que confirme le recensement de population
de 1881. On trouve au 8 de la Rue Basse, le foyer composé de Charles,
boulanger, son épouse Sabine Olinde, leurs filles Augusta 6 ans et
Augustine 2 ans ainsi qu'une autre fille de 3 ans prénommée Marius!. Après avoir par hasard découvert sa naissance et le mariage de ses parents en la ville de Toulon, J'ai compris par la suite qu'il s'agissait bien de
Théophile, frère aîné de Titine, dont la mort à 20 ans est décrite dans
le journal d'Olinde.
Avec la formation de ce nouveau couple les relations de parentés entre
descendants des deux filles, qui étaient à la fois demi-soeurs et
cousines, deviennent difficiles à démêler. Notre nouveau grand-père
n'est pas cheminot, il exerce un métier que j'apprécie beaucoup,
boulanger. Il a d'abord exercé cette profession quelque temps dans le
village de son épouse et frère décédé. Le couple va ensuite s'installer
à la Garde, une nouvelle traversée vers l'ouest d'un peu plus de vingt
kilomètres. On ne connaît pas les raisons de cette migration. Retenons
simplement qu'avec ce déplacement, la jeune Augusta aura la possibilité
de rencontrer dans la nouvelle commune un nommé Laurent Serre qui va
définitivement clore la saga des Gibelin.