Après plusieurs mois sur les terrains de combat de la Marne puis du Nord à la frontière belge, dans la terrible période des gaz, Albert Londres souhaite changer d'air, une opportunité est offerte avec l'offensive franco anglaise contre les Turcs devant conduire nos troupes rapidement à Constantinople.
Le ton n'est plus le même: aux descriptions lyriques des opérations menées sur notre propre territoire succède un texte plus descriptif en terre inconnue. La seule terre ferme qu'a connue en fait A.L. à proximité de la Turquie, est celle des petites îles grecques de Lemnos et Tenedos, bases du corps expéditionnaire. Au total, quelques journées seulement en trois fois, fin mars, fin avril et en août, car AL est déjà et surtout dans les Balkans
Cette armée d'Anglais, de Français, de Sénégalais luttant coude à coude en pleine ombre, saignant ensemble, ne se comprenait pas toujours. Cette armée, vous le savez, n'a pas droit à la retraite... Il n'est plus question d'être rejetés à la mer.
La lune est presque toujours comme un plat de cuivre... C'est sous elle qu'un soldat, trois fois blessé, répond à son officier qui s'inquiétat de ses trois plaies : "non mon capitaine, je ne souffre pas, je suis trop fatigué".
C'est là! les Dardanelles! Leur nom était si joli qu'en les approchant on était tout prêt à entendre tintinabuler les clochettes d'argent. Et c'est le canon qui va parler!
Voici le River Clyde, le cheval de Troie qui sert de chemin de passage entre les navires et la côte pour le débarquement.
Le Petit Journal 30 juillet 1915 fac-similé Gallica intégral du journal
C'est en cet endroit qu'en essayant de sortir du labyrinthe nous n'en trouvons plus l'issue. Car ... la reine voudra toujours être le roi...
Venez à Seduhl-Bahr. Ce n'est pas une terre que l'on a conquise en s'avançant, en gagnant du terrain peu à peu. Avant de ne pas reculer il a fallu s'abattre dessus.
L'expédition des Dardanelles! Vous vous souvenez, alors qu'elle s'est décidée, comme elle se présentait sous un jour brillant. Le nom d'abord était joli, l'endroit prometteur : l'Orient! Constantinople! C'était reluisant.
Venez à Seduhl-Bahr, vous la regarderez au-dessus des muraille de la citadelle
Rentrez dans les ruines de ce château, et vous le sentirez ce relent d'épopée
Valendovo en SerbieDDDD Le Petit Journal - décembre 1915
(le général Baillou arrive des Dardanelles) Elle n'a peut-être pas donné de grands résultats, l'expédition d'Orient, elle ne prendra peut-être qu'une page dans l'histoire du grand massacre européen; peut-être, peut-être, mais quand on pourra la lire, ce sera la page que les coeurs sensibles ne pourront pas lire jusqu'au bout. En attendant, passons.
L 'imbroglio des Balkans - mai 1915 - juillet 1917
Parti pour suivre la conquête de l'Empire Ottoman, A.L. se rend compte dès son arrivée de l'inanité des efforts du coprps expéditionnaire franco anglais et va faire de suite deux allers retours en Grèce où s'amorce la guerre des Balkans. Il va y rester sur place pendant une durée de 27 mois! Il suit les opérations sur le terrain, en survivant avec les combattants dans le froid et la pluie, l'absence de nourriture et de logement. Ce sera la lente agonie de la Serbie face aux Autrichiens puis à la grosse armée bulgare soutenue par les Allemands. Puis la lente reconquête avec l'aide des Français, au milieu des atermoiements de la Grèce dont le roi sera contraint par ceux-ci à abdiquer.
Il est curieux de constater que Le Petit Journal durant toute cette période, se consacre presqu'exclusivement aux évènements des Balkans. Tout le reste de la guerre est résumé en un simple encart de "Communiqués Officiels" qui résume en une ou deux lignes ce qui se passe sur chacun des autres fronts (dont notamment Verdun!!).
Albert Londres est "l'envoyé spécial" mais il y a aussi des "correspondants particuliers" aux Balkans dont les articles sont beaucoup plus étoffés que ceux d'AL
Nouveau changement de ton et d'expression. A.L. est en Grèce et en Serbie un reporter important, il se permet de rencontrer les hommes clés, en Grèce c'est le premier ministre Vénizélos déchu par le roi Constantin mais qui restera de bout en bout l'homme de la situation. En Serbie, ce sont aussi des relations plus amicales que protocolaires qu'A.L. aura avec le roi Pierre âgé et malade mais qui va galvaniser ses troupes, avec son voïvode Putnik, le chef d'état major Pajlovitch et avec le président du Consel Palitch. Il relate leurs entretiens et leurs déclarations à caractère officiel. Parallèlement il accompagne les troupes sur le terrain. Là il en fait une relation précise, sans fioriture, les circonstances dramatiques ne se prêtent pas aux considérations générales
Salonique, 5 novembre
La Serbie va mourir, elle dit "Pour un pays quelle douleur que de montrer à des yeux étrangers son dernier soupir". Oui, colonel, mais pour un pays, quel honneur que de ne pas craindre de pouvoir le faire !
A Belgrade, à Nish, à Uskub, à Pritchina, à Prizrend, à Monastir, en haut, à gauche, à droite, en bas, tout est menacé, tout est sous le feu ou le poignard.
Comme des feuilles mortes emportées, loin de l'arbre qui dépérit, on rencontre les Serbes dans les rues de Salonique.
Il n'y a qu'une chose au milieu de cette ville tourbillonnante, paradoxale, sournoise et peut-être bientôt sanglante, il n'y a qu'une chose qui nous remette l'esprit en place, c'est lorsque le soir, vers sept heurs, sur le quai, vous voyez passer une automobile éclairée, et que dans cette automobile, vous reconnaissez un homme dont le regard devant les évènements les plus sombres est toujours droit, limpide, puissant. Cet homme est un général, ce général, c'est Sarrail.
CozaniDDDD Le Petit Journal - 16 septembre 1916
Si pour la souffrance physique il n'y a qu'une sorte de blessés, pour la souffrance morale il y en a deux : ceux qui sont à l'abri de l'avance de l'ennemi et ceux qui sont sous les pas du vainqueur. Ceux-là sont blessés deux fois, une fois à leur plaie, une fois à leurs yeux.