L'univers des écrits de et sur Albert Londres






pour chaque article : illustrations, aphorismes "londresiens" et accès au Fac similé intégral du journal en pdf.


Les Comitadjis


Albert Londres avait connu ces "révolutionnaires" lors de son très long suivi des guerres compliquées dans les Balkans entre 1914 et 1918. Il a souhaité enquêter sur ce qu'ils étaient devenus. C'est en fait l'histoire de la Macédoine, écartelée entre la Serbie, la Grèce et la Bulgarie. Les "moeurs" locales de ce dernier pays et surtout celles des deux factions principales de comitadjis, ayant en principe le même objectif de rapatrier la fraction de Macédoine rattachée à la Serbie, mais qui se font entre eux une guerre féroce.

Les assassinats quasi quotidiens sont décrits par la plume d'Albert Londres avec un réalisme très cru. Aucun détail ne lui échappe, nous assistons à la préparation, aux déclarations, aux actes et sommes informés des états d'âme des protagonistes. Plus que si on était : si on en était. L'imagination et la verve d'Albert Londres transforment comme souvent chez lui l'histoire en des histoires.



Le Petit Parisien 16 octobre 1931
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En arrivant à Sofia
Je n'étais pas ici pour acheter du tabac. Je n'attendais rien ni du roi, ni du président du Conseil, ni du ministre des Affaires Etrangères, lesquels ne m'attendaient pas non plus. Où donc se cachait ce qui m'attirait en ces lieux? C'était une institution mystérieuse...cette propriété privée dont la principale originalité consistait à n'avoir point de domicile connu, s'appelait "Organisation révolutionnaire intériere macédonienne, autrement dit : Orim.
Orim est née en 1893, entre Okrida et Monastir.


Le Petit Parisien 17 octobre 1931
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Le Petit Parisien 18 octobre 1931
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Les premiers Comitadjis

C'était en 1893, en Macédoine, sous le joug turc. Deux instituteurs de langue bulgare, Damien Groueff et Péré Tocheff se sont donnés rendez-vous. La Turquie, nonchalante et cruelle, n'avait pas encore la pensée ouverte à ce que nous avons appelé un temps le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les deux clandestins ont le projet de délivrer leur patrie de leur tyran.
Comment s'y prendre? A la façon des carbonari. La propagande commence. Le complot s'étoffe. Les révolutionnaires se firent réformateurs, organisant leur courier, leur service sanitaire, distribuant la quinine, châtiant la ménagère malpropre, montrant comment il fallait enfourner. Habillés de laine brute, chaussés de babouches au nez retroussé, ceinturés d'un triple rang de cartouches, le regard provocateur et la figure complètement entourée d'un buisson de barbe et de cheveux, tels apparaissent nos haïdoucs.
Les Turcs répondent : persécution religieuse, impôts, redevances Aux bandes de Macédoniens, ils opposent des bandes de bachi-bouzouks. Le sultan est maître du terrain. Vaincues, les bandes déplumées ont gagné les hauteurs, refuge des grands oiseaux.


Le Petit Parisien 19 octobre 1931
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De la peau de lion à la peau de loup
Les Turcs, en 1913, fumant leur narguilé sur une pente invisible, perdirent la Macédoine. La Bulgarie, la Serbie, la Grèce et feu le Monténégro déclarent en 1912 la guerre à l'Empire ottoman. Les Turcs furent battus. La Macédoine fut coupée en trois morceaux : le grec, le serbe et le bulgare, ce dernier trop petit au gré des intéressés.

La partie principale de la Macédoine étant restée aux mains des Serbes, l'Orim considère aujourd'hui les Serbes du même oeil qu'autrefois elle considérait les Turcs, comme les tyrans de la Macédoine. L'Orim, exactement, est un second gouvernement en Bulgarie. D'aucuns disent que c'est le premier. Jusquà ces dernières années, les méthodes employées par l'Organisation étaient connues. La dame rouge opérait par le truchement de bandes appelées tchétas.
Ces tchétas avaient un chef, un vrai : Todor Alexandroff. Belle figure de haïdouc! Les héros sont rentrés dans leur village. L'Organisation révolutionnaire macédonienne a changé de peau. C'est maintenant un antre de terroristes. De la peau de lion à la peau de loup.


Le Petit Parisien 21 octobre 1931
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Ivan Mikaïloff, dit "Vantché", dit le "Petit"

Le chef du clan des loups est ivan Mikaïloff, dit le "Petit", dit "vantché", joli nom pour un garçon doux et blond. Est-ce Protogueroff, Macédonien, général de l'armée régulière bulgarare, qui dépêcha Alexandroff au fond des cieux? la chose se laisse dire. En tout cas, Protogueroff prend l'Orim en mai. Pendant quatre ans il en dirige les destinées. Soudain, une main, quinze balles de révolver l'arrêtent dans les rues de Sofia. Qui l'a assassiné? C'est Vantché. ne cherchez pas, c'est moi, écrit-il.
Ivan Mikaïloff rompt avec le passé. C'est un homme moderne qui n'aime pas vivre dans les montagnes. Il conserve les avantages territoriaux acquis par Alexandroff. Il fait plus : il inaugure l'ère des frères ennemis. A la guerre étrangère, il ajoute la guerre civile.
Et le bon gouvernement de Sofia, que dit-il de cette aventure? "Chez nous le mot haïdouc signifie à la fois héros et bandit, toute notre poésie est à la gloire des haïdoucs. Nous chantions leurs louanges sous les Turcs, nous ne pouvons, les mêmes causes persistant sous les Serbes, faire croire à notre peuple que le héros d'hier n'est plus aujourd'hui qu'un bandit".


Le Petit Parisien 23 octobre 1931
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Le Petit Parisien 24 octobre 1931
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L'antre

C'est là, à deux pas du palais royal. Là vivent les comitadjis. L'Orim dispose de deux sortes de troupes. Les régulières et les clandestines. Les régulières ne logent pas en ville. Elles se composent de milliers d'hommes qui obéiront au premier geste, mais qui, pour l'instant, cultivent plus ou moins leur terre en Macédoine bulgare. Et voici l'antre. En plein dans le centre. Un labyrinthe aux rues étroites dont quelques-unes courbées comme les morceaux d'une roue cassée.
Les tenanciers de cafés, de restaurants, d'hôtels, les épiciers, les boulangers, les marchands de saucissons, tout forain ouvrant inventaire, ces contribuables du gouvernement régulier bulgare, ne retireront leurs volets ou ne relèveront leur tente que s'ils payent, par surcroît, une dîme à M. Mikaïloff
Passons dans l'autre camp. L'antre révolutionnaire abrite les deux frères ennemis. Là, rue d'Isker, est Zlatitza quartier gébéral de Protogueroff, revivant dans ses disciples.


Le Petit Parisien 27 octobre 1931
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Leurs finances
Comment bouclent-ils leur budget? L'Etat bulgare en donne un peu. L'Italie est plus généreuse. Le reste, l'Orim le trouve à l'intérieur. Et c'est un bien joli travail. Officiellement, l'Orim appelle cela :"Contribution volontaire des Macédoniens convaincus"
Vous êtes taxés de cinq cents levas. Vous vous présentez et vous en versez cinq cent cinquante. Cinq cents pour le roi, cinquante pour Mikaïloff. Le fonctionnaire remet deux reçus, l'un au nom de l'Etat, l'autre au nom de la terreur. Les propriétaires de tabac, les gros comme les petits, doivent verser cinq pour cent de leur chiffre d'affaires à Mikaïloff.


Le Petit Parisien 28 octobre 1931
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Au nom de leur loi...
D'abord ces révotés sont gens de principes. Ils boivent de l'eau, quelques-uns sont végétariens et, quand passe une femme, ils baissent les yeux. Je ne les blâme, je les envie! Les moeurs, en Macédoine, ne sont pas dissolues, Dieu en est témoin. Eh bien, c'est insuffisant, ils veulent qu'elles soient insoupçonnables. Le comité de village joue le rôle de tribunal. Il n'est pas badin. Mieux vaut encore habiter Paris!
Il y a les cas de raison d'Etat. Le tribunal suprême entre alors dans le jeu. Le premier devoir de cette haute cour est de surveiller la politique étrangère du gouvernement régulier bulgare. Ici, il vous suffit d'ouvrir la Liberté ou la Mort et vous lisez : "le dernier congrès de l'Orim a donné mandat au comité central de rechercher et de châtier les assassins d'Alexandroff..ou de Poundeff..ou de... ces mesures punitives seront analogues au châtiment infligé (trente balles) à l'ancien membre du comité central...


Le Petit Parisien 30 octobre 1931
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Une grande journée
La haute cour révolutionnaire a décidé d'occire Natum Thomalewski et Nicolas Bogdaroff. La nouvelle éclate entre l'avenue Marie-Louise et le boulevard Dondoukoff. Les pensionnés de la Terreur se resserrent autour des voïvodes. A ces premières rumeurs, que font les agents de police du roi? Ils vont dans les pharmacies avoisinantes acheter du coton. Là, publiquement, ils se bouchent les oreilles. Ce premier acte accompli, ils tournent le dos au quartier mystérieux et, comme s'ils étaient subitement chargés de recenser les corbeaux, le nez en l'air, ils les regardent, un à un, folâtrer dans l'azur!
Rue de l'Isker, au café Zlatitza, dernier bastion du clan vaincu, à qui l'Ogre va prendre encore deux des siens, colère et accablement. Les spadassins de la cause perdue ne relèvent la tête que pour jurer qu'ils défendront leurs chefs.
L'émotion, dans l'autre clan, est de qualité différente. Qui sera choisi parmi les cinq cents? Aucun de ces jeunes manoeuvres de la mort n'appelle la couronne du martyre. Les exécuteurs sont désignés. Les noms volent. Miracle de la discipline, ils ne volent que là où ils doivent voler.
Le "montreur" rejoint les bourreaux : Les voilà, tuez-les. Ce sont le petit et le grand". Les tireurs gagnent du terrain, ils s'en vont répétant "le petit et le grand". Ils se retournent, le couple mal assorti est à leur portée. Ils tirent. Les deux hommes tombent, morts. C'est fait. L'Orim prévient les journaux. La joie est dans l'antre. Un messager accourt : "on s'est trompé". Les assassins néophytes avaient bien tiré sur un petit et un grand, seulement ceux-là n'étaient pas les bons. Deux tailleurs, deux pauvres taillers de drap, l'un petit et l'autre grand, étaient passsés à leur place... Thomalewski fut tué deux mois plus tard..Bogdaroff quarante deux jours après. Tout fut remis en état - sauf les tailleurs !


Le Petit Parisien 31 octobre 1931
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Le Petit Parisien 1 novembre 1931
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Le Petit Parisien 3 novembre 1931
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La caverne des Balkans
Le pays de "la Liberté ou la Mort". Ici vivent les professeurs de terrorisme : les vieux tout doucement, les jeunes vibrant de fougue. Autour d'eux, déférents, attentifs, studieux, grouillent les élèves. Et tout le reste de la population travaille pour les nourrir!
A Sofia, un antre au coeur de la ville; en Bulgarie, cette province, les deux reliés par une route ou motocyclettes et automobiles de la Terreur passent comme des démons emballés! C'est magnifique. On ne sait plus de quel côté se tourner. On voudrait tout regarder à la fois. C'est la caverne des balkans.





Le Petit Parisien 7 novembre 1931
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Le Petit Parisien 8 novembre 1931
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Le Petit Parisien 9 novembre 1931
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Le Petit Parisien 11 novembre 1931
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Belgrade qui sent la victoire
De la guerre, de tant de misères, de tant de désespoir, de toute cette imbécile souffrance de quatre années, de ce cauchemar de plus de quinze cents nuits, du typhus, de l'abandon du pays, de la retraite d'Albanie, de toutes les montagnes de cadavres qui couvraient toutes les parties de l'Europe, quelque chose, à la fin, se leva à l'endroit où la Save épouse le Danube : une tête, la tête d'un Etat nouveau. La capitale de la Serbie n'était plus. La capitale du royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes sortait de terre.





Le Petit Parisien 13 novembre 1931
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Sur pied de guerre
Nish est l'endroit où l'Orient-Express Paris-Stamboul perd l'un de ses carrosses. Tandis que la mère, je veux dire le train-mère, continue sur la Bulgrie, le petit, je veux dire le carrosse d'Athènes, descend vers la Grèce.
Pourquoi la voie ferrée est-elle gardée? le train et le wagon sont des convois internationaux; en territoire yougoslave, la Yougoslavie est responsable de leur sécurité. Les comitadjis visent justement ce train et ce wagon.
Pourquoi la frontière est-elle en vêtement de guerre? pour couper la route aux tchétas. Si cette frontière était encore une frontière ordinaire, les zigotos de "la Liberté ou la Mort" continueraient de la franchir à volonté. La Macédoine du royaume yougoslave aurait ainsi deux maîtres, le mari et l'amant, le roi Alexandre et Ivan Mikaïloff.
Dans ces décors turcs repeints à la serbe, le vieil esprit haïdouc vole de plus en plus bas. Vantché, bandit du diable, sais-tu d'ici à qui tu fais penser? A Don Quichotte...Un Don Quichotte barbouillé de sang, cela va de soi.





Le Petit Parisien 14 novembre 1931
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Si les hommes étaient sages!..

Diplomatiquement, la question de la Macédoine est tranchée, la Macédoine aussi, en trois morceaux, le serbe, le grec et le bulgare. Le traité de Neuilly a recueilli, à ce sujet, toutes les signatures nécessaires. Il y a un tonneau de poudre dans les Balkans! le traité de Neuilly a tenu compte d'un incident essentiel, mais épisodique, c'est-à-dire de la victoire des uns et de la défate des autres; il n'a pas tenu compte du fond même de la question.




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