L'univers des écrits de et sur Albert Londres






pour chaque article : illustrations, aphorismes "londresiens" et accès au Fac similé intégral du journal en pdf.


Marseille, porte du Sud


A.L. partait et arrivait à Marseille. Il a voulu y séjourner pour en faire une relation, car elle contient tous les ingrédients de ce qui constitue la vie du grand voyageur. Il s'attache à décrire la vie des nombreux émigrés aux origines et aux moeurs multiples, celle des dockers, terrible, mais aussi celle des trafiquants en tous genres, particulièrement la drogue.

Loin de l'image folklorique des galéjades et de celle de Pagnol, la vie du port est présenté avec humour mais sans complaisance, c'est la cité des mauvais coups. Nombre de ses "jugements" ont marqué les esprits, nombre de formules sont restées célèbres.


Le Petit Parisien 24 août - fac-similé Gallica intégral du journal

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I - Mes bateaux vont partir

C'est un port, l'un des plus beaux du bord des eaux. Il est illustre sur tous les parallèles. A tout instant du jour et de la nuit, des bateaux labourent pour lui au plus loin des mers. Phare français, il balaie de sa lumière les cinq parties de la terre.
Il s'appelle le port de Marseille. Les chameaux portant leur faix vers les mahonnes d'au-delà nos mers, sans le savoir, marchent vers lui.

C'est moi Marseille Ecoutez, c'est moi, le port de Marseille, qui vous parle. Montez! montez! Vous verrez tous les Orients, le proche, le grand, l'extrême.
Je vous montrerai les hommes de différentes peaux...Je vous ferai connaître toutes les femmes....
je vous conduirai vers toutes les merveilles des hommes et de la nature...


Le Petit Parisien 25 août - fac-similé Gallica intégral du journal

II - La nouvelle Babel

Les cent visages du vaste monde

Passer! Le mot convient à la ville. On va à Lyon, à Nice. On "passe" à Marseille. Il y a les sédentaires de Marseille et puis le flot des nomades qui va de la gare au port ou du port à la gare.

Si vous ne faites partie ni des sédentaires ni du flot, vous n'êtes plus rien. Vous êtes le badaud. Vous gênez la situation.




Le Petit Parisien 26 août - fac-similé Gallica intégral du journal

III - Sur le quai avec les ballots



Port de Marseille! Carreau des halles des terres lointaines! Quelle entreprise d'emménagement et de déménagement! C'est une foire aux puces, mais universelle, géante et, de plus, oléagineuse!.. Chauffez, bateaux! Levez et jetez l'ancre! On exporte! On importe!

La vie, le bien-être, le luxe des peuples sont aujourd'hui basés sur le grand jeu de l'échange. Ce qui se boit, ce qui se mange, ce qui se tisse, ce qui brûle, ce qui se transforme, ce qui fait la vie agréable et la mort rapide ; échangeons tout et vive le trafic!


Le Petit Parisien 28 août - fac-similé Gallica intégral du journal
IV - Le départ pour la Chine
La circulation de Marseille est régie par une loi unique : "Toute voiture doit, par tous les moyens, dépasser la voiture qui la précède." Ô vous qui désirez mourir muni des sacrements de l'Église, n'oubliez pas, à chacune de vos sorties, de prendre un prêtre dans votre auto! Partir confère de la dignité. C'est un acte que l'on n'accomplit pas avec ses allures de tous les jours. Au plus profond de soi, chacun perçoit qu'une naissance se déclare.
Et l'on attent le paquebot. Garçons en tenue de bord qui surveillez l'entrée des échelles, gare à vous! Vous allez être bousculés. Officiers, garçons, femmes de chambre qu'à défaut on trouvera belles au dixième jour de mer, tous sont devenus des oracles; les yeux dans les yeusx, les clients les interrogent sur le temps. L'arche de Noë va s'en aller. Elle emporte le genre humain par échantillons.

Le Petit Parisien 29 août - fac-similé Gallica intégral du journal
V - Place de la Joliette
Les dockers arrivent. Ils ne vont pas au travail, ils viennent chercher de l'embauche. Alors la place prend son véritable visage. Elle devient une foire aux hommes.
On apprend à être mécanicien, chaudronnier ou maçon. On devient docker. Etre mineur, forgeron, ébéniste, c'est avoir un métier. Docker n'en est pas un... Un docker est un homme qui travaille durement pour la seule raison qu'il n'a rien à faire.
Qu'ont fait ces hommes-là pour sentir aussi mauvais? On dirait qu'ils ont bu tant d'huile de foie de morue qu'à la fin cette huile ressort par leurs pores. On pourrait assaisonner la salade pour tout un régiment rien qu'en pressant leurs vestes bleues. Ils ont coltiné des huiles de poisson.
On va au charbon quand on ne peut plus, mais plus du tout, faire autre chose. Un charbonnier de quai est moins ouvrier encore qu'un docker. Il est un déchet du port, un débris de la vie. Autrefois il a été notaire, professeur...
C'est la légion étrangère sociale! ceux-ci ont brouetté de la chaux. Dur ravail : ils ont toussé souvent depuis ce matin. Ceux-là sont saupoudrés d'une poudre couleur chair, ce sont les porteurs de sacs de blé. Mauvaise, la poussière de blé, surtout dans les cales. Ils ont bu beaucoup. D'autres ont déchargé des tonnes de cacahuètes. Les saletés qu'ils ont dans ls cheveux viennent de Pondichéry. Ceux-ci crachent, c'est à cause du salpêtre.
Ces autres pleurent, ils ont entassé du soufre. En voilà qui frottent leurs mains sur la bordure du trottoir, pierre ponce municipale; ils étaient au gambier! Ces hommes de bronze qui luisent comme des lépreux hindoux sortent de la mine de plomb. En voilà qui ont les bras qui "grelottent". On a envie de leur donner de la quinine, mais ils n'ont pas la malaria, ce sont des hommes de treuil. Et voici les hommes des barils de ciment, ils se secouent. Ces autres surgissent du noir animal. Il en est qui empoisonnent : ils travaillent aux matières périssables

Le Petit Parisien 30 août - fac-similé Gallica intégral du journal



VI - les émigrants


De partout ils arrivent à Marseille. Le grand caravansérail des temps modernes est ici, rue Fauchier... C'est le foyer des hommes sur la branche. Il y a donc la guerre dans leur pays qu'ils fuient ainsi? Oui! la guerre de la faim. Les uns désertent les pays trop habités, les autres les terres ingrates. Ils s'en vont, par la grande route de l'eau, mendier une patrie. La leur n'était plus capable de les faire manger.

Le Petit Parisien 31 août - fac-similé Gallica intégral du journal
VII - Le grand détatoueur












Le Petit Parisien 1 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal
VIII - La Canebière
La Canebière a peut-être bien huit ou neuf maisons. Cependant elle est comme toutes les rues, elle a deux côtés, ce qui peut lui faire seize ou dix-huit maisons. Ce n'était pas long : Marseille, prise au fait, n'en croyait pas ses yeux. Elle mesura et vit que c'était vrai. Comment faire? Marseille débaptisa la rue Noailles qui faisait suite et l'appela aussitôt rue Canebière.
Elle ne donne même pas sur le large de la mer, mais sur le vieux port, si vieux, en effet, qu'il n'est plus qu'un beau mort. La Canebière est le foyer des migrateurs. C'est le rendez-vous de tous les Français qui se sont connus ailleurs qu'en France. C'est à croire que les voyageurs ont une religion secrète et que la Canebière est quelque chose dans la religion des voyageurs, comme La Mecque dans la religion des musulmans.

Le Petit Parisien 3 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal
IX - Marins au long cours

Dans un café de la Canebière, il est trois tables de marbre. Ces trois tables sont celles des officiers de la marine au long cours. C'est le plus singulier des rendez-vous, un rendez-vous avec personne. On vient y retrouver des amis, mais sans jamais savoir lesquels : ceux que la mer a ramenés.

Celui-ci a débarqué du matin. Il est midi. Aux trois tables de marbre il n'y a plus de place. Il lève les bras. Il n'a jamais vu tant d'amis. Il s'assoit. Ils sont neuf marins au long cours.

Le Petit Parisien 5 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal

X - La guerre mystérieuse de l'opium
Un inscrit, en vêtement de toile bleue, descendait du paquebot et s'en allait prendre son train afin d'embrasser plus tôt sa famille. Il emportait même sous son bras deux grosses boules de pain pour faire à ses petits enfants de bonnes tartines dans du pain de mer. Les deux bourgeois abordèrent l'inscrit... les deux boules de pain étaient remplies d'opium. Deux aigles empaillés m'attendaient dans un arrière-bureau de la douane. Le ventre de l'un était déjà vide. On ouvrit le ventre de l'autre, il sen échappa douze boîtes de fer blanc. C'était du bon opium de Bénarès. Les aigles, eux, étaient de l'Himalaya.
On se souvient encore d'une époque récente où chaque courrier apportait un paralytique; et les douaniers eux-mêmes s'écartaient pour laisser passer l'opium dans les béquilles.. Il y eut aussi la civière! Le pauvre colonial couché et grelottant, une couverture jusqu'au menton et les poches bourrées de drogue.
"Je vais voir le Père". La censure interdisait pendant la guerre que l'on nommât les résidences des quartiers généraux. Je respecterai cette règle. Il ne s'agit pas d'un repaire de bandit. L'homme qui vit là et qui fournit d'opium non seulement la France mais à peu près "tout ce qui fume" en Occcident, compte de hautes realtions. L'opium n'est pas le coco. La coco est un peu "trottoir". L'opium est demeuré "salon". Au seuil de cette demeure, je vais jusqu'à sentir de la considération.

Le Petit Parisien 8 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal
XI - Le "maquis"
Tous les grands ports ont leur maquis. Le maquis de Marseille est sans pareil. La Canebière est son boulevard. Ses repaires sont des bars. C'est la dictature du zinc. On nage dans la limonade. Les rues vont à la manière des lignes d'une patte d'oie. On dirait qu'elles veulent toutes aboutir au coin de l'oeil. Celui qui chausserait des bottes d'égoutier pourrait seul s'y promener comme chez lui. Je lui conseillerais toutefois d'ouvrir son parapluie. Souvent une nourriture miraculeuse tombe, en effet, des fenêtres dans les bras.
C'est la cité des mauvais coups. La crapule, ici, est sur ses terres. Comme dans ce monde-là le fumier ne manque pas, les terres sont grasses. Grand port, Marseille a une grande plaie. C'est régulier. Le rêve de tout malfaiteur international est de devenir patron de bar à Marseille.

Épaves
article ajouté dans l'édition en livre

Ce sont celles qu'apporte la mer. Elles ne proviennent d'aucun objet manufacturé. Ce sont des épaves humaines. Elles sont à Marseille uniquement parce que Marseille est un port et que tout ce qui est ballotté finit par aborder là.
Marseille est une ville heureuse où passent beaucoup de malheureux. Il y a de pauvres Arabes, de pauvres nègres, de pauvres blancs.

L'enclos Milliard
article ajouté dans l'édition en livre

L'enclos Milliard tient de la case nègre et du "compartiment" annamite, mais c'est beaucoup mieux, c'est inédit. Les bicoques ressemblent si bien à des voitures de romanichels que, d'instinct, vos yeux cherchent le brancard et le cheval. Vous ne trouvez que le crottin! On ne sait pas si la porte soutient le mur ou si le mur cherche à écraser la porte. Pas de lits; des puciers. Le pain est sur le pucier, l'oreiller est sur la table, la cuvette est sur le fourneau, le rata est dans la cuvette et les locataires sont dans des loques.

L'envers du port
article ajouté dans l'édition en livre

Ils ne se promènent pas, ils se remorquent. A quoi rêvent-ils? On peut vous dire que c'est à leurs savanes, à leurs pampas, à leurs rizières, à leur oued, qu'est-ce que l'on risque? Moi, je crois que c'est à rien! Ils rêvent par manque de domicile. C'est comme lorsqu'ils marchent, ils semblent tourner autour de quelque chose que les autres ne voient pas : ce quelque chose n'est que leur désoeuvrement. Mais, pour des esprits sans calcul, c'est déjà rêver beaucoup que de rêver à rien!

Le Petit Parisien 13 septembre - fac-similé Gallica intégral du journal
XII - La leçon de notre enquête

Jeunes gens, allez voir le phare
Allez à Marseille, Marseille vous répondra. Cette ville est une leçon. Attentive, elle écoute la voix du vaste monde... elle engage, en notre nom, la conversation avec la terre entière. Aidons Marseille dans sa montée. Toute l'Italie est derrière Gênes pour le pousser. La France ne connaît de Marseille que Marius et le mistral...
Il est un phare à deux milles de la côte. Ce phare est illustre dans le monde; il s'appelle le Planier...si le Planier ramène au pays, il préside aussi au départ. Faites le voyage de Marseille, jeunes gens de France; vous irez voir le phare. Il vous montrera un grand chemin que, sans doute, vous ne soupçonnez pas, et peut-être alors comprendrez-vous?





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